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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


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Oh ! quel dommage que ce soient les crus qui possèdent le pain tout cuit[1], que ce soient les incomplets qui possèdent les richesses complètes ! Les yeux des belles Turques[2] sont la fête du cœur et ce sont de simples élèves, des esclaves qui en sont les possesseurs[3] !


112

Il faut que notre être soit effacé du livre de la vie, il nous faut expirer dans les bras de la mort. charmant échanson, apportemoi gaiement du liquide, apporte, puisqu’il faut devenir terre[4] !


113

En ce moment, où mon cœur n’est pas encore privé de vie, il me semble qu’il y a peu de problèmes que je n’aie résolus. Cependant, quand j’appelle l’intelligence à mon aide, quand je m’examine avec soin, je m’aperçois que mon existence s’est écoulée et que je n’ai encore rien défini.


114

Ceux qui adorent le sèddjadèh[5] sont des ânes, puisqu’ils se mettent de plein gré sous la charge des dévots hypocrites. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que ceux-ci, sous le manteau de la piété, prêchent l’islamisme et sont en réalité pires que des idolâtres[6].

  1. Le sel de ce quatrain consiste dans le jeu de mots cru, qui signifie : homme sans expérience, inhabile, ignorant, indigne de jouir de ce que le ciel lui a donne en partage, et cuit, qui veut dire : mûr, civilisé, exempt de superstition, instruit, etc.
  2. Turc ou Turque (la distinction des genres n’existe pas dans la langue que nous traduisons) est pour les Persans l’emblème de la beauté. Hâféz, cet Anacréon des Persans, s’exprime ainsi en parlant de celle qui avait captivé son cœur : [Texte en persan] « Si cette Turque de Chiraz veut bien accepter mon cœur, je lui fais don, pour l’amour de son grain de beauté, et de Samarkand et de Boukhara. »
  3. C’est-à-dire les profanes, esclaves de la superstition et, par conséquent, indignes de posséder de tels trésors. Il va sans dire que ceci est encore et toujours à l’adresse des adversaires de Khèyam, les moullahs.
  4. Le texte dit eau au lieu de liquide, mot qui n’existe pas dans la langue persane, où cette opposition de l’eau et de la terre donne beaucoup de force à ce quatrain, qu’on peut prendre dans deux sens différents : 1o Nous serons terre, viens, arrose cette terre, ô échanson ! 2o Nous serons terre, jelte de l’eau sur cette terre pour en faire des briques, des cruches, etc.
  5. Petit tapis sur lequel les fidèles font leurs prières.
  6. Le texte dit : Ils vendent l’islamisme, c’est-à-dire ils proclament ou prêchent l’islamisme ; mais ils ne s’y conforment pas eux-mêmes, et leurs insinuants et hypocrites discours égarent les âmes simples.