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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


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Puisque notre départ d’ici-bas est certain, pourquoi donc être ? Pourquoi nous acharner ainsi à vouloir atteindre le bonheur, l’impossible ? Puisque, pour une raison inconnue, on ne doit pas nous laisser ici, pourquoi ne point nous occuper de notre voyage futur, pourquoi être insouciant a cet égard[1] ?


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Il y a un siècle que je chante les louanges du vin et. que je ne m’entoure que d’accessoires qui s’y rapportent. Ô dévot ! puisses-tu être heureux ici-bas avec ta conviction d’avoir pour maître la sagesse ! Mais apprends du moins que ce maître n’est encore que mon élève.


88

Le monde ne cesse de me qualifier de dépravé. Je ne suis cependant pas coupable. Ô hommes de sainteté ! examinez-vous plutôt vous-mêmes et voyez ce que vous êtes. Vous m’accusez d’agir contrairement au chère (loi du Koran) ; je n’ai cependant pas commis d’autres péchés que l’ivrognerie, la débauche[2] et l’adultère[3].


89

Si tu te livres à tes propres passions, à ton insatiabilité, je puis te prédire que tu partiras pauvre comme un mendiant. Vois plutôt qui tu es, d’où tu viens, aie la conscience de ce que tu fais, sache où tu vas.

  1. Bien des personnes se sont demandé si Khèyam ne se contredisait pas dans ce quatrain. Je ne le pense pas. Il poursuit, au contraire, invariablement son idée sur le néant des choses de ce monde, sur l’absurdité des hommes, qui se tuent pour acquérir des richesses, des grades, des titres, ou pour pénétrer par la science et le raisonnement les secrets que Dieu a voulu leur cacher. Ne point rester oisif ici-bas en vue de notre voyage futur, selon Khèyam, c’est s’occuper exclusivement de la Divinité, en vidant la coupe de son amour ; ou bien, notre poëte voudrait-il qu’on allât dans l’autre monde avec une coupe à la main ?
  2. Les orientalistes pourront dans le texte vérifier ce mot débauche, dont nous avons dû nous servir dans cette traduction à la place du mot énergique qu’emploie le poète et que les convenances nous empêchent de rendre littéralement.
  3. Ce quatrain fait allusion à l’improbité et à la vénalité, en plus de leurs déportements, des docteurs de l’islamisme chargés de la distribution de la justice. Le poète s’exprime à leur égard d’une façon bien plus violente encore dans le quatrain 264, en disant qu’il préfère la société des ivrognes, qui boivent le sang de la vigne, à celle des moullahs (prêtres musulmans), qui, par leur rapacité, boivent le sang des humains.