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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


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Une nuit, je vis en songe un sage qui me dit : Le sommeil, ami, n’a fait épanouir la rose du bonheur de personne : pourquoi commettre un acte si semblable à la mort ? bois du vin plutôt, car tu dormiras bien assez sous terre.


49

Si le cœur humain avait une connaissance exacte des secrets de la vie, il connaîtrait également, à l’article de la mort, les secrets de Dieu. Si aujourd’hui que tu es avec toi-même tu ne sais rien, que sauras-tu demain quand tu seras sorti de ce toi-même ?


50

Le jour où les cieux seront confondus, où les étoiles s’obscurciront[1], je t’arrêterai sur ton chemin, ô idole ! et, te prenant par le pan de ta robe, je te demanderai pourquoi tu m’as ôté la vie (après me l’avoir donnée).


51

Nous devons nous garder de dire nos secrets aux vils indiscrets ; au rossignol même nous devons les cacher. Considère donc le tourment que tu infliges aux âmes des humains, en les forçant ainsi à se dérober aux regards de tous[2].


52

1. Ô échanson ! puisque le temps est là, prêt à nous briser toi et moi, ce monde ne peut être ni pour toi ni pour moi un lieu de séjour permanent. Mais, en tous cas, sois bien convaincu que tant que cette coupe de vin sera entre toi et moi, Dieu est dans nos mains[3].

  1. C’est-à-dire au jugement dernier. Selon l’opinion des pontifes mahométans, opinion que Khèyam tourne ici en dérision, la fin du monde sera précédée d’un cataclysme général. Les cieux seront confondus, les astres seront obscurcis, la terre bouleversée, ainsi que cela a eu lieu, disent-ils, lors du déluge universel, et de ce nouveau chaos surgira un autre ordre de choses où le calme le plus parfait régnera et où les morts seront jugés par la Divinité. (Voyez le Koran, chapitre intitulé La rupture.)
  2. Le poëte, par ce quatrain, fait allusion à l’indiscrétion des hommes, à leur mutuelle méfiance, et reproche à Dieu d’avoir permis un état de choses qui force les initiés à garder leurs secrets.
  3. C’est-à-dire : c’est Dieu qui est avec nous, J’ai déjà fait observer (note 2, quatrain 11) que Khèyam emploie la coupe de vin au figuré et que dans la pensée du poëte elle est Dieu lui-même. Cette expression, Dieu est dans nos mains, donne au quatrain du texte persan une vigueur qu’il ne saurait avoir en français, où cette expression n’est pas usitée. En persan, au contraire, elle est en usage même dans le vulgaire. On entend à chaque instant les hommes, les femmes, les enfants dire [Texte en persan] Dieu est dans ses mains, pour : La justice est dans ses mains, elle est de son côté, il a raison, il est dans son droit, etc. car, en persan, Dieu, justice et droit sont synonymes.