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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


397

De la cuisine de ce monde tu n’absorbes que la fumée. Jusques à quand, plonge dans la recherche de l’être et du néant, seras-tu la proie du chagrin ? Ce monde ne contient que perte pour ceux qui s’y attachent. Dérobe-toi à cette perte, et tout pour toi deviendra bénéfice[1].


398

Nous, nous ne cherchons point à tourmenter les hommes dans leur sommeil ; nous évitons ainsi de leur faire pousser à minuit les cris lamentables : Ô mon Dieu ! ô mon Dieu ! (mais d’autres le font). Ne te repose donc ni sur tes richesses ni sur ta beauté, car celles-là te seront enlevées dans une nuit, et l’autre aussi dans une nuit te sera ravie[2].


399

Si dès le commencement tu avais voulu me faire connaître à moi-même, pourquoi ensuite m’aurais-tu séparé de ce moi-même[3] ? Si au premier jour ton intention n’avait pas été de m’abandonner, pourquoi m’aurais-tu jeté tout ébahi au milieu de ce monde[4] ?


400

Oh ! plût à Dieu qu’il existât un lieu de repos, que le chemin que nous suivons y pût aboutir ! Plût à Dieu qu’après cent mille ans nous pussions concevoir l’espérance de renaître du cœur de la terre, comme renaît le vert gazon !

  1. Le poète compare ce monde à une vaste cuisine : [Texte en persan], la cuisine du monde ou ce monde-cuisine, dont les profanes, en la traversant, ne goûtent que la fumée, croyant y savourer ce qu’elle produit de meilleur. « Tout est perte ici-bas, ajoute le poëte, pour ceux qui s’efforcent d’acquérir des richesses temporelles, tandis que, pour ceux qui y renoncent, tout devient bénéfice, parce que leur âme, dirigée uniquement vers la Divinité, est délivrée des sentiments de peine auxquels est assujettie la vie humaine. »
  2. Allusion à l’arbitraire des gouvernements despostiques de l’Orient, qui, au milieu de la nuit, envoient des agents aux personnes riches et suspectes de trahison, pour confisquer leurs biens. Allusion aussi à la brutalité de ces agents, qui, dans ces circonstances, se croyant tout permis, ne respectent ni jeunesse ni beauté.
  3. Image des passions auxquelles est en proie la nature humaine, passions qui séparent l’homme terrestre de l’homme de l’Éden, qui l’empêchent de se voir tel qu’il est sorti des mains de Dieu, qui enfin le dérobent à lui-même.
  4. Réminiscences sur la chute de l’homme qui, après avoir possédé, suivant l’Écriture, le suprême bonheur dans le paradis terrestre, se trouve réduit à souffrir toutes les misères de ce monde.