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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


386

Ô mon cœur[1] ! quand tu es admis à t’asseoir au banquet de cette idole (la Divinité), c’est que tu es sorti de toi-même pour rentrer en toi-même. Lorsque tu as goûté une gorgée du vin du néant, tu es entièrement séparé de ceux qui sont et de ceux qui ne sont plus.


387

Oui, je me suis trouvé en relation avec le vin, avec l’ivresse. Mais pourquoi le monde m’en blâme-t-il ? Oh ! plût à Dieu que tout ce qui est illicite produisît l’ivresse ! Car alors jamais ici-bas je n’aurais vu l’ombre de la saine raison[2].


388

Tu as brisé ma cruche de vin, mon Dieu ! tu as ainsi fermé sur moi la porte de la joie, mon Dieu ! tu as versé à terre mon vin limpide. Oh ! (puisse ma bouche se remplir de terre !) serais-tu ivre, mon Dieu[3] ?


389

Ô toi qui es le résultat des quatre[4] et des sept[5], je te vois bien embarrassé entre ces quatre et ces sept. Bois du vin, car, je te l’ai dit plus de quatre fois, tu ne reviendras plus ; une fois parti, tu es bien parti.

  1. On a déjà vu (note 1, quatrain 383) que Khèyam, par cette expression : ô mon cœur ! s’adresse à une autre personne que lui-même. C’est comme s’il disait : ô mon cher ami, ô mon âme, etc. Ce quatrain est essentiellement mystique. Dans la pensée du poète, l’homme qui fait abstraction complète de tout ce qui est terrestre en lui et autour de lui, dont l’âme se sépare intuitivement de la matière et retrouve sa pureté primitive, cet homme-là s’est rapproché de la Divinité. Lorsque, ayant vidé le calice du néant, il a disparu de ce monde, il ne fait plus partie ni des vivants, ni des morts, son essence (son âme) étant rentrée dans le tout, c’est-à-dire dans l’essence divine, dont elle n’a jamais été distincte. (Voyez quatrain 365, note 3.)
  2. Ceci est encore un soufflet donné aux moullahs, qui, selon le poëte, ne se dégriseraient jamais si toutes les actions illicites qu’ils commettent devaient produire l’ivresse.
  3. On remarquera une différence sensible entre le troisième hémistiche de ce quatrain faisant partie du recueil que nous traduisons, recueil récemment lithographie à Téhéran, et le troisième hémistiche du quatrain qu’on a lu à la fin de la biographie du poëte et que nous avons tiré d’un ancien manuscrit. Nous avons lieu de croire que la leçon de ce dernier est la seule authentique.
  4. Les quatre éléments.
  5. Les sept cieux ; d’autres prétendent les sept planètes.