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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


351

Quel avantage a produit notre venue en ce monde ? Quel avantage résultera de notre départ ? Que nous reste-t-il du monceau d’espérances que nous avons conçues ? Où est la fumée de tous ces hommes purs qui, sous ce cercle céleste, se consument et deviennent poussière[1] ?


352

toi dont les lèvres recèlent l’eau de la vie ! ne permets pas à celles de la coupe[2] de venir les baiser. (Oh ! si tu le permets,) puissé-je perdre le nom d’homme si je ne m’abreuve du sang du flacon, car qui est-elle, cette coupe, pour oser appuyer ses lèvres sur les tiennes[3] ?


353

Je suis tel que m’a produit ta puissance. J’ai vécu cent ans, comblé de ta bienveillance et de tes bienfaits. Je voudrais cent ans encore commettre des péchés et voir si c’est la somme de mes fautes qui l’emporterait ou celle de ta miséricorde.


354

Prends dans tes mains la coupe, emporte la gourde, ô charme de mon cœur ! et va explorer les prairies, les bords des ruisseaux, car bien des idoles, semblables à la lune par l’éclat de leurs beaux visages, ont été cent fois transformées en coupes, cent fois elles ont été des gourdes.

  1. C’est-à-dire : Quelle trace ont laissée ici-bas tous ces sages, ces philosophes, ces savants, ces hommes parfaits, purs de toute croyance vulgaire, qui ont apparu sur cette terre où tout périt, où tout disparaît, où tout rentre bientôt dans la matière inerte d’où tout est sorti ?
  2. On a déjà vu qu’en persan bord et lèvre sont synonymes. Ici, le poëte personnifie la coupe, dont il se montre jaloux. Il ne voudrait pas que les lèvres de la coupe approchassent celles de l’objet de son amour, la Divinité, et il prie celle-ci de ne point le permettre.
  3. S’abreuver du sang de quelqu’un, c’est se venger de la manière la plus terrible ; c’est la peine du talion : œil pour œil, sang pour sang ; allusion au Koran. (Voyez chapitre La vache, verset 158.) Pour légitimer sa vengeance, le poète semble établir une sorte de solidarité entre le flacon et la coupe, Celle-ci l’a offensé, il se venge sur celui-là en buvant son sang.