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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


290

Lorsque, la tête renversée, je serai tombé aux pieds de la mort ; lorsque cet ange destructeur m’aura réduit à l’état d’un oiseau déplumé, alors gardez-vous de faire de ma poussière autre chose qu’un flacon, car peut-être le parfum du vin qu’il contiendra me fera-t-il revivre un instant.


291

Quand j’examine de près les choses de ce monde, ce que je vois, c’est qu’en général les humains s’approprient gratuitement[1] les biens qu’il renferme. Moi, ô Dieu tout-puissant ! je ne rencontre que le revers de mes souhaits dans tout ce qui me tombe sous les yeux !


292

C’est moi qui suis le chef des chalands habitués de la taverne ; c’est moi qui suis plongé dans la rébellion contre la loi, c’est moi qui, durant de longues nuits, abreuvé de vin pur, crie à Dieu les douleurs de mon cœur ensanglanté[2].


293

Que de nuits s’accumulent sans que nous puissions fermer les yeux, avant qu’une cruelle séparation vienne d’abord nous attrister[3] ! Lève-toi et respirons encore un instant avant que respire le souffle de l’aurore[4] ; car bien longtemps encore, hélas ! cette aurore respirera quand nous ne respirerons plus !

  1. C’est-à-dire : sans les mériter, sans en être dignes. Ce n’est pas leur valeur qui les fait riches et heureux, c’est la faveur, c’est l’intrigue, l’astuce, l’hypocrisie, etc.
  2. Par ce quatrain, Khèyam rétorque les arguments que les moullahs soutiennent contre lui et leur fait sentir l’état de détresse où doivent les jeter, au milieu de leurs prières, le souvenir de leurs méfaits et l’horreur des peines de l’enfer.
  3. Le poëte regrette le temps perdu dans le sommeil, durant lequel il est séparé de son échanson.
  4. C’est-à-dire : avant que le jour paraisse. Le mot [Texte en persan], souffle, est synonyme de respiration ; [Texte en persan], le point dujour, l’aurore (la respiration ou le souffle du matin), Le double sens de ce mot donne beaucoup de poésie à ces vers. Il est employé pour instant, moment, dans le quatrain suivant.