J’ai fermé sur moi la porte de la cupidité, et me suis ainsi libéré de ma reconnaissance envers ceux qui sont hommes et ceux qui ne méritent pas ce nom. Puisqu’il n’existe qu’un ami (Dieu) pour me tendre la main, je suis ce que je suis, cela ne regarde que moi et lui.
Je suis constamment attristé par le mouvement de cette roue des cieux. Je suis révolté contre ma vile nature. Je n’ai ni assez de science pour me dérober sans retour au monde, ni assez d’intelligence pour y vivre sans m’en préoccuper.
Que de gens plongés dans le sommeil[1] je vois sur la surface de cette terre ! Que de gens j’aperçois déjà enfouis dans son sein ! Quand je jette les yeux sur le désert du néant, que de gens j’y vois qui ne sont pas encore venus ! que de gens qui sont déjà partis !
Ta miséricorde m’étant acquise, je n’ai point peur du péché. Avec les provisions que tu possèdes[2], je n’ai pas à m’inquiéter des embarras du voyage. Ta bienveillance rendant mon visage blanc, du livre noir je n’ai aucune crainte[3].
- ↑ C’est-à-dire : des gens plongés dans le sommeil de l’ignorance, de la superstition.
- ↑ Allusion à la clémence, à l’infinie miséricorde de Dieu, qui n’a pas besoin qu’on lui porte le fruit des bonnes œuvres qu’on a pu pratiquer en ce monde pour se faire bien venir de lui. Le poète amène ici la comparaison d’une personne noble, généreuse, riche, et d’un voyageur qui irait lui demander l’hospitalité en lui portant de quoi approvisionner sa cuisine pour le temps qu’il compterait rester chez elle.
- ↑ Selon la tradition persane, au jour dernier, les infidèles auront à la main un feuillet du livre noir, ainsi nommé à cause du grand nombre de crimes qu’il contient, et ils le tiendront en tremblant. (Voyez le Koran, chapitre La caverne, verset 47.) Un feuillet de ce livre du jugement est réservé à chaque individu d’ici-bas. Lorsque le feuillet est blanc, c’est qu’il n’y a pas eu de péché à inscrire, et alors la personne à qui il appartient entre en paradis ; dans le cas contraire, elle est précipitée dans les flammes de l’enfer. C’est l’ange Sèhèl qui , à la fin des temps, sera chargé de lire les pages de ce livre. À chaque feuillet qu’il aura lu , il fermera le livre et le sort de chaque homme sera décidé. (Voyez le Koran, chapitre Les prophètes, verset 104, où il est dit qu’on pliera les cieux comme Sèhèl plie le livre. ) La tradition ajoute que les infidèles auront la main droite attachée au cou et porteront dans la main gauche, liée derrière le dos, le feuillet de leurs crimes. (Voyez le Koran, chapitre L’ouverture, verset 10.)