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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


244

Hier, en passant ivre devant une taverne, j’ai rencontre un vieillard pris de vin et portant une gourde sur son dos. Je lui ai dit : « Ô vieillard ! n’as-tu pas peur de Dieu ? » Il me répondit : « La miséricorde vient de lui, va, bois du vin. »


245

Jusques à quand l’insuccès de tes entreprises te chagrinera-t-il ? Le tourment est le partage de ceux qui pensent à l’avenir. Vis donc dans la joie, n’afflige pas ton cœur des soucis de ce monde, et sache que le vin n’augmente en rien l’amertume des peines.


246

Le vin, que l’homme intelligent sait apprécier, est pour moi l’eau de la vie et je suis pour lui Élias[1]. C’est un baume pour le cœur, c’est un élixir qui fortifie l’âme. Dieu lui-même n’a-t-il pas dit : « L’avantage du genre humain se trouve dans le vin[2] ? »

  1. Élias est le même que Khèzr ou Khèdr, comme le prononcent les Arabes. La tradition persane raconte que ce prophète alla dans les contrées lointaines et ténébreuses du globe terrestre, où se trouve la source qui donne l’immortalité. Il s’y désaltéra et devint immortel. (La tradition ajoute qu’Alexandre le Grand pénétra, dans le cours de ses conquêtes, jusque dans ces contrées fabuleuses, mais qu’il ne parvint pas à trouver la source de la vie.) Élias, que les uns confondent avec Élie, d’autres avec saint Jean, existe donc encore, mais on ne sait quelles sont les contrées qu’il habite.
  2. Allusion au Koran (chapitre La vache, verset 215), où il est écrit : « Ils l’interrogeront sur le vin et les jeux de hasard. Dis-leur qu’ils sont criminels, qu’ils procurent aux hommes des avantages, mais qu’ils leur sont plus nuisibles qu’utiles. » Dans le verset 46 (chapitre Les femmes), il est dit : « Ô croyants ! ne priez pas pendant que vous êtes dans l’ivresse. Attendez que vous puissiez comprendre ce que vous proférez. » Au verset 69 du chapitre Les abeilles, Mohammed, énumérant les bienfaits du ciel, fait observer aux croyants que, entre autres choses, Dieu leur a donné le dattier et la vigne, dont les fruits leur fournissent une liqueur enivrante et un aliment sain. Tout cela ne constitue pas pour les musulmans une défense absolue de faire usage du vin. Il faut dire toutefois que le Prophète arabe est plus explicite dans le verset 92 du chapitre La table, où il est dit que le vin, les jonx de hasard, les statues et le tir des flèches sont une abomination inventée par Satan, et qu’il faut s’en abstenir pour ne pas être du nombre des pervers. Mais ce verset détruit-il les précédents ? Ne continue-t-il pas, au contraire, à alimenter, par la contradiction qu’il implique, ces interminables discussions qu’il a provoquées et qui ont eu pour résultat d’amener certains commentateurs du Koran et la plupart des poètes orientaux à cette interprétation que le Prophète n’a point défendu le vin absolument, mais seulement l’excès du vin ? (Voyez note 4, quatrain 220.)