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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


227

Ils sont partis, ces passagers, et aucun n’est revenu te dire un mot des secrets cachés derrière le rideau. Ô dévot ! c’est par l’humilité[1] que tes affaires spirituelles prendront une tournure favorable et non par la prière, car qu’est-ce qu’une prière sans sincérité et sans humilité ?


228

Va jeter de la poussière sur cette voûte des cieux[2] et bois du vin ; recherche les belles personnes, car où vois-tu sujet de pardon, sujet de prière, puisque, de tous ceux qui sont partis, aucun n’est revenu ?


229

Bien que je n’aie jamais percé la perle de l’obéissance qu’on te doit, bien que jamais de mon cœur je n’aie balayé la poussière de tes pas, je ne désespère point d’arriver au seuil du trône de ta miséricorde, car jamais de mes plaintes je ne t’ai importuné[3].


230

Nous recommençons le cours de nos plaisirs et nous continuons à faire le tèkbir des cinq prières[4]. Partout où le flacon sera présent, tu verras, semblables au goulot du flacon lui-même, nos cous vers la coupe s’allonger[5].

  1. Le mot [Texte en persan], nous l’avons fait remarquer plus haut, a plusieurs acceptions. Il signifie espérance, prière, nécessité, soumission, contrition, componction, humilité. C’est sans doute ce dernier sens qu’on doit entendre dans ce quatrain. Car, le poëte semble y blâmer la façon dont les prétendus vrais croyants observent le devoir de la prière en la prononçant du bout des lèvres, et paraît les inviter à prendre exemple sur les soufis, qui, dédaignant les actes extérieurs, font consister le culte exclusivement dans la contemplation de la Divinité et dans l’espérance en sa miséricorde immuable.
  2. Jeter de la poussière aux cieux, c’est n’en faire aucun cas, c’est les considérer comme s’ils n’existaient pas. (Voyez note 1, quatrain 218.)
  3. Notre poëte, de plus en plus caustique, fait allusion dans ces vers à l’inutilité, selon les soufis, des prières sans nombre que les hommes adressent au ciel sur des sujets plus innombrables encore, comme si Dieu, pour leur complaire, devait changer l’ordre que, dans sa divine sagesse, il a imprimé à la nature.
  4. [Texte en persan]. Les musulmans, surtout ceux qui appartiennent au clergé, prononcent, avant de commencer leurs prières, la formule Allah akber, « Dieu est le plus grand. » Pour que le tèkbir soit agréable à Dieu, il faut que celui qui le fait soit entièrement recueilli. Aucune pensée terrestre ne doit le distraire. C’est dans ce sens que cette formule est appelée tèkbir, qui signifie : renoncer à toute pensée mondaine pour être entièrement à la prière. Par extension, on dit : Faire le tèkbir aux plaisirs de ce monde, c’est-à-dire y renoncer à tout jamais. Faire le tèkbir à l’amitié de quelqu’un, c’est ne plus vouloir en entendre parler. C’est ainsi que notre poëte fait le tèkbir aux cinq prières par jour, si fortement recommandées par le Koran. Il ne renonce pas aux choses de ce monde pour n’être qu’à la prière ; il renonce à la prière pour n’être qu’à Dieu.
  5. Cette expression, allonger son cou, signifie aussi postuler, désirer ardemment, aspirer : [Texte en persan], un tel a allongé son cou vers le tapis du vizirat, pour : il aspire à devenir ministre.