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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


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Nous voilà parti et le temps est attristé de notre départ[1] : car de cent perles précieuses il n’y en a qu’une de percée[2]. Hélas ! c’est grâce à l’ignorance des hommes que cent mille idées d’un sens profond sont restées inexprimées[3].


153

Aujourd’hui, le temps est agréable ; il ne fait ni chaud, ni froid. Les nuages lavent la poussière qui s’est assise sur les roses, et le rossignol semble crier aux fleurs jaunes qu’il faut boire du vin[4].


154

Le jour où l’on m’aura rendu étranger à moi-même[5], et où l’on parlera de moi comme d’une fable, alors je désire, (oserai-je le dire ?) que de ma boue l’on fasse un pot à vin destiné au service de la taverne.


155

Bois du vin avant que ton nom ait disparu de ce monde, car dès que ce nectar sera entré dans ton cœur, le chagrin en sortira. Dénoue boucle par boucle les cheveux d’une charmante idole, avant que les articulations de tes propres os soient elles-mêmes dénouées[6].

  1. Nous avons déjà fait observer plus haut que souvent Khèyam emploie le pronom du pluriel, nous, en parlant à la première personne du singulier. Nous voilà parti est donc pour : me voilà parti, ou : bien près de quitter ce monde, etc.
  2. Figure allégorique. Les perles précieuses représentent les mystères de la création. Une seule de ces perles a été percée, c’est-à-dire : un seul des mystères de la création a été expliqué aux hommes : c’est qu’ils retourneront à la poussière d’où ils sont sortis.
  3. Khèyam regrette que l’ignorance de ses contemporains, ou la rigueur du clergé national, l’aient empêché de révéler des secrets qu’il a dû emporter avec lui.
  4. La couleur jaune étant l’emblème de la douleur et du chagrin, c’est aux fleurs de cette couleur que le rossignol semble s’adresser par ses chants, comme pour les convier à détruire la tristesse qui les afflige.
  5. Étrange expression pour dire : quand je ne serai plus.
  6. Ce jeu de mots [Texte en persan], boucles ou nœuds de cheveux, et [Texte en persan], articulations, jointures des os, donne dans le texte beaucoup d’énergie à la pensée, souvent symbolique, du poëte.