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Une main poussa la grille à moitié fermée, un homme se dressa devant elle.

— Annette ! dit-il.

Il lui sembla que cette voix surgissait du passé.

Elle lui fut odieuse. Elle résista. Non, non, ce n’était pas vrai. Elle rêvait… Il était impossible que l’être qu’elle haïssait le plus au monde fut là, tranquillement, et qu’il vint porter le dernier coup à son bonheur déjà menacé…

— C’est moi, Annette. Tu ne t’attendais pas à me revoir, n’est-ce pas ? À vrai dire, tu t’étais bien cachée et je ne t’aurais sans doute jamais découverte s’il n’y avait eu cette photographie sur le journal. La gloire a ses ennuis, tu vois.

— Va-t-en ! dit-elle seulement.

— Il n’en est pas question. J’ai fait un véritable voyage pour te voir… Nous avons un tas de choses à nous raconter… D’abord, je dois te dire que tu n’as pas changé. Toujours le même air angélique. À te regarder, on ne croirait jamais que tu as eu une vie si mouvementée… Non, tu n’as pas changé.

— Toi, si… répliqua-t-elle brièvement.

Elle l’examinait avec une répugnance visible.

Ce corps dégingandé, ce visage sillonnée de rides et que des tics parcouraient, cette bouche qu’un rictus amenuisait et rendait dangereuse, c’était là une caricature du Robert Gardaire qu’elle avait vu autrefois avec des yeux différents.

— Que viens-tu faire ici ? questionna-t-elle.

— Te rappeler tes promesses ! Tu as si mauvaise mémoire…

— Celui qui était entre nous est mort, dit-elle. Je ne te crains plus.

— C’est que tu me connais mal !

— Écoute, j’ai fait ma vie. Je suis heureuse. J’ai un mari qui m’aime. Pourquoi détruire tout cela ?

— Pourquoi t’en laisser profiter ? Le mérites-tu plus que moi ? Il n’y a pas si longtemps, j’étais encore en prison alors qu’une autre personne, aussi coupable que moi, était en liberté… Tu avais juré de m’attendre… Tu ne l’as pas fait… Je me suis retrouvé seul, sans argent…

— J’en ai, je t’en donnerai…

— Il le faudra bien, mais cela ne me suffit pas. C’est toi que je veux, tu m’appartiens… Ne te souviens-tu pas des heures que nous ayons passées ensemble. À cette époque, tu m’aimais. Tu m’aimeras encore.

— Non. Jamais !

— Qu’importe alors, il me suffira de t’aimer. Mais tu seras là, près de moi, toi, mon bien et ma récompense…

— Je préférerais mourir !

D’un geste fou, elle s’était levée et courait vers le salon, s’approchait du petit secrétaire.

Déjà il l’avait rejointe.

— Pas d’histoires, hein ? Si tu allais te tuer cela m’amènerait des complications. Et pour le moment je désire me tenir tranquille. Écoute, je vais te quitter, je reviendrai bientôt… Tu auras eu le temps de réfléchir. Dans le fond, tu n’es pas tout à fait stupide… Tu sais de quel côté est ton intérêt… Adieu, Annette… À bientôt… Tu me reverras.