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Elle était toute jeune, d’aspect fragile, un peu rêveur, avec, dans ses yeux clairs, une flamme qui brûlait intensément. Elle sortait très rarement, elle avait peu d’amies et parfois il se reprochait de ne lui donner qu’une existence terne.

— Je me demande ce que tu peux faire quand je suis loin, continua-t-il.

— Je m’occupe de la maison avec Martine… Je fais du jardinage… Je lis et je rêve…

— Hum ! Quand une femme rêve, c’est toujours dangereux pour le mari.

D’un baiser, elle lui ferma la bouche.

Le dîner fut très gai. Après le café, Jacques réclama un journal du soir.

— On ne les a pas reçus aujourd’hui, dit-elle d’une voix qui se voulait indifférente.

— Mais voyons, ce n’est pas possible. J’ai rencontré le facteur en revenant. J’ai même arrêté la voiture pour lui parler.

— Il y avait deux lettres pour toi. Elles sont dans l’entrée. Mais pas de journaux.

— C’est embêtant !

— Voyons, tu peux te passer d’une feuille imprimée. Bavardons encore…

Il n’insista pas. Elle crut qu’il avait oublié. Mais quand Martine, la servante, une fille robuste et saine, vint pour débarrasser la table, il lui demanda tout de trac :

— Apportez-moi un journal. Il y en a certainement un dans la cuisine.

— Bien sûr, Monsieur.

Annette parut ne rien entendre de la conversation.

Elle avait allumé une cigarette et suivait les volutes qui se perdaient dans l’air bleuté du soir.

Un froissement de papier la ramena à la réalité. Elle écrasa la cigarette et attendit. Après tout, ce qu’elle avait fait n’était pas grave. Jacques comprendrait.

Juste à ce moment il poussa une exclamation.

Sur la page qu’il lisait s’étalait en très grand le portrait de sa femme. Avidement, il parcourut le texte qui l’accompagnait.

— Pourquoi ne m’as-tu rien dit de tout cela ? questionna-t-il.

— C’était sans importance.

Qu’avait-elle fait en somme ? Lasse de son inaction, elle s’était amusée à participer à un grand concours de roman policier. Et elle venait de recevoir le premier prix. Un journaliste local avait retrouvé sa trace, par l’éditeur, et les trois journaux de la région lui consacraient la première page. Les quotidiens de Paris parlaient d’elle quoique plus brièvement.

En quelques mots, elle expliqua la chose à Jacques. Mais ce dernier semblait perplexe.

— Comment as-tu pu inventer une histoire semblable, torturée et sombre, à ce qu’en disent les critiques ? Comment a-t-elle pu naître en toi ?

Il avait eu peu d’aventures dans sa vie car il craignait les femmes obscurément. Mais Annette tout de suite l’avait conquis par son air calme, son front têtu, sa joliesse encore enfantine. Ils se connaissaient depuis deux semaines à peine qu’il avait décidé qu’elle serait sa compagne. Et voilà que la femme qu’il avait choisie était autre qu’il avait cru… voilà qu’il était maintenant en face d’une étrangère qui enfantait des personnages monstrueux.