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— Bien, tu me les donneras ce soir. Je te rendrai les tiennes.

J’étais heureux car cela impliquait un échange et depuis longtemps j’avais envie de voir revenir entre mes mains mes propres lettres. Jusqu’alors elle avait refusé de me les rendre.

Nous décidâmes de rentrer ensemble et, il le fallait bien, de te mentir. L’orage nous fournit un prétexte valable. Le soir, Brigitte me rejoignit dans ma chambre alors que tu étais couchée. Je lui redonnai ses lettres.

— J’ai égaré celles qui t’appartiennent, me dit-elle.

Je crus qu’elle mentait puisque les lettres étaient en sa possession dans l’après-midi et qu’elle me les avait montrées. Mais je ne dis rien. J’entendais agir dans la nuit. S’il fallait voler, je volerais. J’avais peur de sa méchanceté, je savais qu’elle te haïssait. Je descendis… Elle dormait. En me dirigeant dans l’obscurité je m’appuyai contre le divan et je sentis sous ma main ton revolver. Alors…

— Chut !

Jacques se tut. Annette l’avait pris dans ses bras et le couvrait de baisers.

Elle ne voulait pas entendre la fin de sa confession.

Elle aussi avait eu des pensées meurtrières.

Au moment d’agir, elle s’était sentie trop faible. Le revolver était tombé de ses mains sur ce divan où son mari l’avait ramassé.

— C’est ma faute ! Jacques murmura-t-elle.

Et elle se désespérait à l’idée que sa hâte et sa sottise avaient fait de son mari un assassin.


CHAPITRE V

Une semaine avait passé depuis le drame.

Le temps était magnifique et les arbres portaient, comme une étrange floraison, des oiseaux gazouillant à chaque branche.

De longs silences avaient remplacé à la gentilhommière les bavardages habituels. Mais Jacques retrouvait chaque soir Annette dans son lit et leurs enlacements avaient quelque chose de grave et de désespéré à la fois.

Ce matin-là, la jeune femme et Martine étaient dans le jardin quand passa un curieux cortège. Devant marchait un vieux berger, derrière suivaient deux hommes portant un brancard sur lequel était étendue une forme voilée d’un drap. Et pour fermer la marche venait Belcassan, le gendarme du village proche.

Il s’arrêta au portail.

— Une triste histoire, expliqua-t-il. On a trouvé Madame Hallier sur la berge du fleuve. Sa mort remonte à plusieurs jours car elle est dans un état pitoyable. Sa tête s’est presque entièrement fracassée sur les roches.

— C’est affreux ! dit Martine tandis qu’Annette cachait son visage dans ses mains d’un geste instinctif.

Lorsque les deux femmes se retrouvèrent seules, Martine gourmanda sa maîtresse :

— Faut faire attention, Madame, ou tout le monde saura que vous êtes coupable.

Annette retint la protestation