Page:Nicolaï - Mon premier crime, 1944.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 22 —

— Qu’allons-nous devenir ? demandai-je à mon père.

— Ne t’inquiète pas, nous avons de quoi vivre désormais, répondit-il.

Ces mots résonnèrent en moi comme un glas.

Quelques jours plus tard, une lettre anonyme, envoyée par une ancienne servante mise à la porte, mit la police sur la piste. L’autopsie révéla que la malade avait été empoisonnée. Tout de suite on soupçonna son héritier.

Quand je le sus, je passai une nuit affreuse. Je savais que mon père avait agi de concert avec lui. Que pouvais-je pour lui ? J’allai trouver Gardaire dans sa chambre.

Mes supplications le laissèrent impassible.

— Naturellement, votre père est coupable, m’affirma-t-il. Et vous passerez pour notre complice. Qu’y puis-je ?

Je m’affolai.

— Ils n’ont pas de preuves, nous nous en tirerons, m’affirma-t-il.

— C’est trop grave pour lui après ce qui s’est passé, lui expliquai-je.

Il finit par céder et par me jurer qu’il innocenterait mon père s’il était arrêté. Mais il posa une condition. Que je l’attende lorsqu’il sortirait de prison. Je promis. Je ne songeais qu’à sauver mon père. Cela ne lui suffit point. Il voulut une preuve. Et c’est pourquoi, cette nuit-là, je devins sa maîtresse.

Il fut condamné. Il se tut. Mon père mourut peu de temps après et je me retrouvai seule. C’est alors que nous nous rencontrâmes.

Lorsque je fus devenue tienne, j’essayais d’oublier ! J’y réussis mal sans doute puisque j’eus l’idée, pour me débarrasser des pensées qui me hantaient, d’écrire ce livre qui fut la cause de notre première brouille. Alors, les choses se précipitèrent…

En quelques phrases elle raconta à son mari la journée de la veille puis elle en vint à la rencontre dans le hall de l’hôtel Régina et à la découverte des lettres de Jacques.

— Les voilà, dit-elle à son mari en les sortant de sous son oreiller.

— Comment, c’est toi qui les avais !

— Oui. Et lorsque j’ai vu Brigitte sortir de ta chambre je me suis affolée. Ainsi mes luttes et mes souffrances étaient inutiles. Tu aimais une autre… Je suis descendue quand j’ai pensé qu’elle était endormie, j’ai pris le revolver et…

Jacques lui mit la main devant la bouche pour l’empêcher de parler.

— Chut ! Ne dis plus rien. C’est à moi maintenant de tout avouer. Je t’ai aimée vraiment, ma chérie, et jamais je n’ai pensé à te tromper. Ma liaison avec Brigitte date d’avant notre mariage et ces lettres sont de vieilles lettres sans importance.

Je l’avoue, après avoir lu ton roman, je me suis senti ulcéré contre toi. Tu m’avais caché une partie de toi-même, je le sentais. Je partis furieux. Or, ce même matin, Brigitte téléphona à mon bureau. Elle voulait me voir immédiatement. Je me rendis chez elle, une rencontre imprévue fit que j’y arrivai très tard.

— Je vais me marier, m’expliqua-t-elle. Et j’ai besoin des lettres que je t’ai écrites.

— Elles sont chez moi.