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entendu, elle descendait à l’hôtel Régina lorsqu’elle était en ville). Pourquoi la ramenait-il ce soir alors qu’il savait que sa femme l’attendait impatiemment ?

Brigitte expliquait :

— Je suis rentrée par l’autocar. La pluie m’a surprise. Heureusement Jacques m’a recueillie.

— Vous avez pris froid, je suis sûre, fit Annette. Passez dans la salle de bains, je vais vous prêter une robe de chambre et mettre vos vêtements sécher.

— Vous êtes trop gentille. J’ai peur de vous déranger.

— Pas le moins du monde, mentit la jeune femme.

Puis se tournant vers son mari :

— Tu es mouillé aussi. Va te changer.

Jacques disparut sans rien dire.

Il ne l’avait même pas embrassée.

Annette conduisit l’invitée dans la salle de bains :

— Vous resterez dîner, fit-elle. Je vais m’en occuper.

Le cœur gros, elle descendit à la cuisine.

Il lui en avait coûté d’être aimable mais elle avait préféré prendre les devants et ne pas attendre que son mari lui imposât Brigitte.

Si Martine ne revenait pas, elle pourrait se débrouiller. Il y avait des œufs dans le garde-manger, du poulet froid et des haricots verts qu’il suffirait de réchauffer.

Ayant mis un tablier, elle s’activa. Elle avait décidé d’être parfaite, de ne rien montrer de son trouble.

Mais une menace était sur la maison, elle le sentait si violemment qu’elle remonta tout à coup à l’étage où se trouvait Brigitte.

— Avez-vous besoin de moi, demanda-t-elle devant la porte fermée.

— Non ! Je prends un bain chaud.

— C’est ce que vous avez de mieux à faire.

Annette poussa un soupir de soulagement. Heureusement, personne ne l’avait vu venir comme une folle, prise d’une impulsion soudaine.

— Je redescends, cria-t-elle.

Elle fit, en passant devant la table, un mouvement si brusque, que le sac de Brigitte tomba sur le sol et s’ouvrit laissant échapper pêle-mêle une boîte à poudre, des clefs et un bâton de rouge. La jeune femme ramassa les objets épars et les remit à leur place.

C’est alors qu’elle aperçut une liasse de lettres, de l’écriture de Jacques. Elle en déplia une, la lut avidement.

Au fur et à mesure que les mots prenaient un sens et s’enfonçaient dans son être comme autant de fléchettes venimeuses, elle pâlissait.

« Brigitte, mon amour, j’ai été triste tout le jour sans toi, comme si, de t’avoir tenue si serrée, je m’étais senti amputé de toi. Toi seule existes pour moi, tu le sais »…

Les autres missives étaient du même ton.

Annette n’eut pas le courage de les lire toutes. À quoi bon ! Elle était fixée maintenant, Jacques lui avait menti sans cesse… comme elle lui mentait. Leur existence si merveilleuse, si tendre, n’avait été qu’un rêve, Il aimait Brigitte, elle était à lui…

— Je suis prête, lançait cette dernière au même moment.