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— Je suis dans le hall de l’hôtel Régina. Je vous attendrai jusqu’à ce que vous veniez…

Déjà il avait raccroché.

Annette était indécise. Mais son idée de partir fut la plus forte. Elle grimpa dans sa petite Peugeot ; démarra et se dirigea vers la ville. En désordre, ses pensées se heurtaient dans sa tête. Si Jacques n’allait plus l’aimer… le supporterait-elle ?… Pourquoi pas tout de suite. Un coup de volant plus fort et elle irait briser la voiture contre un arbre. Plus que sa jeunesse et l’instinct vital la retint l’idée de sa haine pour Gardaire. Il fallait lutter. Tout reconquérir. À cela il n’y avait qu’une issue. Raconter à son mari ce qu’elle avait cru bon de lui cacher. Il comprendrait. Il finirait par lui pardonner… Elle connaîtrait encore auprès de lui des minutes ineffaçables.

Cette décision prise, elle se sentit soulagée.

En arrivant à la ville, son premier soin fut de s’arrêter pour téléphoner à Jacques.

La secrétaire de celui-ci lui affirma qu’il était absent.

— Mais voyons… je croyais qu’il devait rester là toute la matinée…

— Il est venu à l’heure habituelle et il est reparti tout de suite…

— Bon !

— Y a-t-il un message à lui laisser ?

— Non, je retéléphonerai.

La jeune femme resta pensive. Encore une fois, tous ses plans étaient changés. Que s’était-il passé pour que Jacques, qui attendait ce jour là un gros client — il lui en avait longuement parlé la veille — se fut absenté ? Cela avait-il un rapport avec son attitude de la veille. À nouveau, l’angoisse l’habita.

— Je vais attendre, soupira-t-elle.

Pour faire passer le temps il ne lui restait qu’à aller voir Gil Ray. Après tout, le metteur en scène la distrairait de sa peine pour un moment. Et, puisque le mal était fait, puisque le passé était ressuscité, autant profiter de la chance qui s’offrait. Si son mari refusait de se réconcilier avec elle, elle aurait besoin d’argent pour vivre. Dans le cas contraire, elle utiliserait cette somme pour dédommager Robert. Vis-à-vis de lui elle avait contracté une dette.

Brusquement, celui auquel elle pensait surgit devant elle. Il n’y avait rien d’étonnant à cela car la ville était très petite et toutes ses rues tombaient comme des fleuves dans la mer dans une artère principale où les mêmes gens passaient et repassaient.

Annette avait arrêté sa voiture devant un de ses fournisseurs et se rendait à pied à l’hôtel Régina. Quoi d’étonnant à ce qu’elle rencontrât Robert !

Sans la saluer, Gardaire emboîta le pas à la jeune femme.

— Alors, siffla-t-il entre ses dents serrées. As-tu réfléchi ?

— Oui. Ma décision est prise.

— Bravo. Nous pouvons partir tout de suite pour Paris.

— Il n’en est nullement question. Bien au contraire. J’ai l’intention de tout avouer à mon mari.

— Joli cadeau à lui faire à cet homme ! Et que penses-tu qu’il décidera ?

— S’il me garde, je passerai ma vie à lui faire oublier celle que j’ai été et que tu me forces à lui découvrir maintenant.