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LA MORT FAIT LE TROTTOIR

étaler toute ma vie privée dans leurs colonnes. En même temps que la mort tragique de la petite Ruby, j’apprenais la nouvelle de l’arrestation de son assassin présumé, un certain Tonio Savelli. À quoi aurait servi ma déposition ? Je ne savais en somme rien du crime et je ne voyais pas en quoi je pouvais rendre service à la justice. Et puis, pourquoi tergiverser : j’ai craint le scandale, monsieur.

Mais mon attitude va vous paraître encore bien plus curieuse, incompréhensible. Et à vrai dire, n’étant pas psychologue, je suis dans l’impossibilité d’expliquer moi-même à quel sentiment trouble j’ai obéi, à quelle curiosité malsaine. Dans la nuit qui suivit, je retournai rue Clauzel et je suis resté quelques instants devant l’hôtel où j’avais aimé Ruby et où elle avait été éventrée. J’ai goûté dans cette contemplation une sorte de délectation morose, une volupté pénible dans laquelle se mêlaient la jouissance et le deuil. Je vous étonne, monsieur, mais vous devez comprendre que l’étrangeté de mon comportement ne pouvait avoir sa source que dans des passions étranges.

Étrange également fut le sentiment qui me poussa à suivre une belle fille que j’avais vu sortir de l’hôtel Minerva dans le dessein évident de chercher aventure. Vous dire quelle était mon émotion quand je rentrai avec elle dans l’immeuble où la veille j’avais accompagné Ruby, quand je passai devant la porte de sa chambre, me serait bien