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LA MORT FAIT LE TROTTOIR

ché à cette affaire trois de ses meilleurs rédacteurs spécialisés. Sur l’instruction précise du rédacteur en chef, le secrétaire de rédaction avait coiffé leurs papiers d’un gros titre en bâtis au milieu de la première page et c’est lui qu’il vérifiait sur la morasse grasse d’encre qu’un apprenti grêlé de taches de rousseur venait de lui apporter dans le petit café près de l’imprimerie de la rue du Croissant. C’était un petit bistrot qui restait, par permission spéciale de la Préfecture de police, ouvert toute la nuit et où, à cette heure avancée, se rencontraient des filles qui renonçaient à trouver le client pour la nuit, des chauffeurs de taxi attardés et les ouvriers des imprimeries voisines.

Le patron, courtaud, rougeaud, la moustache noire coupée dru sous le nez, les manches de chemise tenues relevées par des élastiques, servait sur le zinc les cafés crème, les cafés arrosés, et les verres de vin blanc, aidé par un garçon si blême qu’il semblait devoir mourir la minute suivante. Au delà du comptoir, dont les sinuosités paraissaient faites pour donner leur démarche aux ivrognes qu’il rejetait sur le trottoir, se trouvait une petite salle séparée par une cloison qui n’atteignait pas le plafond. C’est là que le secrétaire de rédaction, tout en mangeant le jambon aux cornichons qu’il avait commandé, corrigeait sa morasse.

Autour du comptoir se pressaient les linotypistes, les metteurs en page, les fonctionnaires, tous en longue blouse noire, car c’était le moment de