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LA MORT FAIT LE TROTTOIR

La peur ne les rendait pas belles. Elles n’avaient aucun entrain. Dans les boîtes de nuit, les patrons aboyaient après les entraîneuses.

— De la gaieté, bon Dieu ! De la gaieté et du charme ! Les clients boudent. Ils s’ennuient. J’ai fait hier dix bouteilles de moins que ma moyenne. Qu’est-ce que vous foutez ?

— Si vous croyez qu’on a du cœur à l’ouvrage avec ce type qui rôde par ici !

— Des boniments.

— Je voudrais vous y voir. Tenez, le bonhomme du 7, qui est là, tout seul, il a une sale gueule. Pour rien au monde, je m’assoierais avec lui.

— Poules mouillées !

Même au Frisco, où un excellent orchestre créole se démenait pour mettre un peu de joie dans l’atmosphère, les filles demeuraient mornes. La plupart étaient de merveilleuses filles noires, à la peau délicieusement douce, aux corps souples, et qui, à l’ordinaire, étaient à l’égard de tous les événements d’une souveraine indifférence. Mais l’une, à propos de l’assassinat des deux Sisters, avait parlé du Vaudou. Et toutes elles tremblaient. C’est en vain qu’on leur avait permis de boire autant qu’elles voudraient, et elles ne s’en privaient pas. Mais cela ne leur rendait pas leur exubérance. Les libations accroissaient au contraire leur angoisse. Il leur était défendu d’évoquer dans leurs propos le meurtrier disparu. Mais rien ne pouvait leur interdire d’y penser sans cesse. Leurs grands yeux reflétaient leur muette épouvante.