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LA LOI DU SUD

cette femme ou la déesse des nuits descendue sur un rayon argenté ? Quand il demanda à Si El Achmi de continuer le voyage avec lui, le chef nomade ne parut pas surpris.

— Ma tente est la tienne, dit-il simplement.

Il eut honte à l’idée que sa visiteuse était la femme de son hôte. Mais il désirait tant la revoir et terminer son portrait. Il resta.

Trois nuits, elle revint encore, fidèle à sa promesse.

La dernière, elle s’approcha pour regarder l’image qu’il avait faite d’elle.

— C’est moi, c’est bien moi ! s’étonna-t-elle.

— Oui… Ainsi, tu ne me quitteras jamais.

— Tu vas repartir ?

— Il le faut…

Elle s’affola à l’idée de ne plus le revoir. Et c’est elle qui s’avança vers lui… Il prit la bouche qui se tendait vers la sienne.

Le voyageur prend congé de son hôte.

Celui-ci, impassible, dit les mots qu’il est bienséant de dire. Le peintre remercie cérémonieusement.

Dans la tente, il voit une femme s’avancer d’une démarche hésitante. Il reconnaît l’apparition de ses nuits. Talhia lève son visage sur lui. Il retient un cri. Les yeux morts n’ont plus qu’un regard sanglant. Le Chambi suit les pensées de son hôte :

— Ce n’est rien, dit-il, une esclave qui a désobéi. Elle a été punie.

L’autre ne réplique pas, ce serait la mort pour Talhia.

Il part, les épaules basses. La mélopée entendue le jour de son arrivée l’obsède follement :

Les yeux de ma bien-aimée
Coulent entre la berge de ses cils
Comme un fleuve noir.