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DU SANG SOUS LA TENTE

Sous la tente conique, brune et pourpre, le Chambi accueille l’hôte que le hasard lui envoie. Une vieille esclave apporte des galettes graisseuses et des œufs minuscules. Avec des gestes rituels, l’Arabe prépare le thé. Les deux hommes échangent les bénédictions d’usage et boivent à petits coups le breuvage parfumé.

L’Arabe est un chef nomade. Au pas lent des caravanes, il suit les pistes d’or fauve jonchées de pierres noires. Au loin, fermant le cercle enchanté de l’horizon, des dunes mauves se détachent d’un trait net sur un ciel bleu. Son regard n’a jamais connu d’autres paysages.

L’hôte est un homme de sa race, il l’a deviné tout de suite, malgré ses vêtements modernes et son teint clair. Mais il est né dans la grande ville qu’il a quittée lorsqu’il était tout jeune. Il a traversé les mers, étudié dans une ville plus grande encore. Il est maintenant plus éloigné de lui que ne le sont ces hommes blancs qui vivent ici et qui respirent comme lui l’odeur musquée du Sahara.

Il est revenu pourtant à la terre africaine. Sur une Ford solide, il a parcouru le désert. Pour tout bagage, il emporte des crayons, quelques pinceaux et des toiles immaculées.

Le soir fond sur le jour comme un oiseau de proie. Autour des tentes de poil, les moutons paissent, les chameaux barraquent et les chamelons de velours brun jouent gaiement.

Face à face, les deux hommes se regardent. Ils se taisent. Ils n’ont rien à dire.