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LA LOI DU SUD

— Rien n’est plus facile. Elle viendra se reposer ici dans deux semaines, comme chaque année.

« Elle ne vint pas. Je ne sais ce qui la retint. Je l’avais tant attendue qu’il me semblait impossible qu’elle manquât au rendez-vous que je lui avais donné. Toutes mes heures étaient chaudes de sa présence dans mon cœur.

« Je crus ma vie brisée, ne riez pas ! pour une statue. Mais une statue qui m’avait révélé à la fois la beauté et l’amour.

Et puis, des jours passèrent, des semaines et des mois. J’avais un ami. On a toujours, dans son existence, un être qui répond à vos enthousiasmes, à vos espoirs les plus fous. Un jour, il m’annonça ses fiançailles. Nous étions sur un bateau qui nous ramenait en France après deux ans passés en Afrique. Il me montra une photo. Je reconnus Régine. Je fus heureux. C’était un peu comme si elle m’eût souri et choisi entre tous. Si le destin avait voulu que nous nous rencontrions, je le savais maintenant, elle aurait pu m’aimer. Comme tous les hommes très épris, Pierre me parla de sa fiancée, longuement, intarissablement : je sus d’elle sa démarche, son regard, ses gestes quotidiens.

« Comme j’avais hâte de la connaître, moi qui la connaissais si parfaitement !

« Pierre mourut d’un accident juste avant son mariage. J’arrivai en retard à l’enterrement, au moment où Régine montait dans la voiture qui l’emmenait, son visage caché par les voiles de deuil.

« Je ne me pressai pas. J’avais le temps. Le destin avait parlé pour moi. Elle était libre et je l’aimais. Lorsque je me présentai chez elle, elle était partie. Elle voyagea. Je voyageai. Mais nos chemins ne se croisèrent jamais. Comme si elle me fuyait… Et je l’attends toujours… »