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L’HOMME QUI VOULUT CHANGER LE DESTIN

crawl nerveux, rapide. Son corps, qu’on sentait d’acier, semblait une flèche.

Après une demi-heure, il fit halte dans une crique isolée et, fermant les yeux, s’endormit.

Ce fut un bruit de voix féminines qui l’éveilla quelque temps après. L’une d’elles était claire, vibrante, pleine de soleil et de bonheur, l’autre presque sans timbre.

— Tu ne m’en veux pas, Sylvia, disait la première, de t’abandonner, alors que tu as tout fait pour moi, alors que tu as été ma mère plus que ma sœur ? Tu sais que mon mariage me cause beaucoup de joie. La seule ombre, c’est que nous serons séparées… Andréas m’emmènera loin d’ici… Dans deux jours nous nous quitterons… Que deviendras-tu ?

— Ne t’inquiète pas, Joya… Je vivrai, tout simplement…

— Depuis vingt ans, tu n’as eu d’autres soucis que moi… Tu te sentiras bien seule… Il faudrait que tu te maries…

Sylvia eut un rire triste :

— Qui voudrait de moi ?

— Oh ! tais-toi, chérie, ne parle pas ainsi…

Il y eut un silence.

Bernard avait un peu honte d’avoir entendu cette conversation qui ne lui était pas destinée. Il regretta presque de connaître aussi bien la langue des deux étrangères. Il avait été indiscret, il le fut plus encore. Se levant à demi de sa place, il put voir les deux femmes. La plus jeune ressemblait à sa voix. Brune, bouclée comme un pâtre antique, elle avait un visage mat plein de fossettes et un corps souple qui s’élançait d’un seul jet, comme une plante. À côté d’elle, sa sœur paraissait encore plus terne, avec son corps sans attraits, son visage insignifiant aux pores dilatés. Ses yeux étaient petits, sans éclat.