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LE FANTÔME MAL TUÉ

Depuis bien longtemps — car c’est bien long une vie sans amour — je ne fais plus pipi sur ses genoux. Mais Josette ne s’en est pas aperçue et continue à me traiter comme si elle devait à chaque instant changer mes langes. Elle ne sait même pas, la chère vieille, ce que moi je sais trop bien : c’est que je suis bossue, vilainement difforme et qu’un bras d’homme ne sera jamais assez long, assez grand pour étreindre cette gibbosité.

Ah ! si l’amour pouvait se contenter des yeux, des joues, de la bouche, quelle belle amante je saurais être ! Mais il lui faut encore autre chose et je n’ai rien à lui offrir. Car je l’aime trop en mon cœur, l’amour, pour ne pas désirer que tout ce qu’on lui voue soit beau. Et je vis par habitude, sans envie, et peut-être aussi par complaisance pour le dévouement de cette vieille bonne émerveillée encore que, vingt ans avant, maman ait confié à ses bras impatients un petit être vagissant qui aurait pu devenir une si belle fille.

Ce dévouement est, du reste, égoïste, comme la plupart des dévouements. Et je suis le souffre-bonté de Josette. C’est toute l’utilité que j’ai. Et j’oublie celles qui ont un mari, des enfants, celles qui ont senti sur leur joue la poitrine solide d’un homme quand la querelle où gronde tant d’affection renaît entre Josette et moi. Cela a recommencé ce soir-là.

J’ai prié Josette de me réveiller à huit heures. Pourquoi ? Je n’en sais plus rien. Je n’avais sans doute pas de raison. Mon destin est tout réglé. Mais je voulais