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SOUS L’ARCHET

Combien de temps dura cette étrange contemplation ? Je ne sais.

Quand, l’archet restant immobile, une dernière note eut éclaté, je sursautai.

L’homme ouvrit les yeux et me regarda.

Il crut d’abord à une vision née de sa musique. Il passa la main devant ses yeux. Mais, toujours, devant lui, se tenait cette inconnue qui semblait surgir de ses rêves, une femme blonde, dans la plénitude de sa jeunesse, au visage bouleversé par l’émotion.

Il parla dans sa langue, que je ne connaissais pas. J’allai à la fenêtre, lui montrai ma voiture, l’horizon… Il comprit et me ramena par la main à mon siège. Un instant, il disparut puis reparut avec une tasse de lait et des fruits.

Quand j’eus terminé mon léger repas, il me désigna la pièce voisine. C’était une chambre meublée avec une extrême sobriété. J’enlevai mon chapeau, mon manteau. À ce moment, mon hôte m’apporta une splendide robe de chambre brodée d’or que je revêtis tout de suite.

Au lieu de me coucher, je revins dans la première pièce, attirée par je ne sais quel sortilège.

Devant la cheminée où le feu s’éteignait lentement, son visage empourpré et satanique éclairé par la lueur des braises, l’homme était assis, serrant contre lui son violon.

Je lui fis signe de jouer et, tout de suite, le même charme m’encercla.

L’archet courait sur l’instrument, mettant mes nerfs à nu. Il me semblait que ma vie était suspendue à cette musique. Il me semblait que cet homme était tout proche de moi et que j’étais sans force devant lui.

Je me dissolvais dans cette atmosphère curieusement délétère. Et, peu à peu, je voyais son visage se durcir, ses yeux briller d’un éclat impérieux. Moi, muette, frissonnante sous la robe d’or vieilli, j’attendais je ne sais quoi d’inévitable qui allait venir.