Page:Nicolaï - La loi du Sud, 1946.djvu/159

Cette page a été validée par deux contributeurs.
157
LA FILLE AUX SORTILÈGES

fait rouler le couscous qui vous sera servi… Si vous le mangez, je ne sais ce qui pourra vous arriver.

— Merci de m’avoir prévenue. Mais je ne veux rien faire contre mon destin. Je ne crains pas la mort… À dire vrai, je ne crois pas aux envoûtements, voyez-vous, et puis… Inch’Allah !

Il n’insista pas, peut-être ne l’avait-il pas convaincue ; peut-être… Il partit.

Quelques instants plus tard Jacques arriva, taciturne comme à l’accoutumée.

Sur la natte, le boy, vêtu de blanc, les servit. Monique observait son mari, il mangeait à peine. Il prit une aile de poulet coriace et la mit dans son assiette. Sans hésiter elle se servit. Alors qu’elle portait une cuillerée de couscous à sa bouche, il l’arrêta :

— Non, Monique, ne fais pas cela !

Elle le regarda et comprit à son expression qu’il était au courant. Sans doute avait-il entendu sa conversation avec Delange…

Mais pourquoi s’interposait-il ? Si elle courait un risque, cela n’était-il pas préférable à l’existence qu’elle menait ?

— Monique, répéta-t-il doucement, il ne faut pas faire cela.

— Je ne crois pas à ces histoires, Jacques… Mais je voudrais y croire. Si cette femme est capable d’un tel geste, c’est qu’elle t’aime…

Il l’interrompit brutalement :

— Ne m’aimes-tu pas plus qu’elle, toi qui brave le sort ?… Toi qui as accepté l’épouvantable vie que je te fais mener ici.

Elle eut un sourire un peu triste :

— Il n’y a rien là de bien extraordinaire. C’est tout simple, au contraire : je suis ta femme et je t’aime !

Jacques se leva, et Monique, éblouie, vit ses yeux… Ce regard qu’elle pensait ne plus jamais revoir, le regard de jadis, plein d’amour, de douceur, de désir, de violence,