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LA FILLE AUX SORTILÈGES

cheveux tombaient sur ses épaules, ses vêtements blancs se déchiraient aux ronces de la brousse, mais elle paraissait s’en insoucier.

Le soir, Jacques disparaissait et elle savait qu’il allait rejoindre, dans une case voisine, Salah, la femme qui le lui avait ravi. Monique savait tout d’elle, elle l’avait vue : une femme exotique à peine plus dorée de peau qu’elle, un tatouage sur le front, cerné de nattes noires qui tombaient sur ses épaules. Passive, lente, robuste, une femme de ces pays.

Monique n’abdiquait pas. Vaincue, elle l’était, mais ne voulait point se l’avouer.

Elle accusait le climat, cette atmosphère étrange et lourde. À Paris, elle l’aurait reconquis sans mal, ici, elle se sentait désarmée. Mais être sans armes, faible, désemparée, n’était-ce pas sa seule force ?

Elle restait donc, laissant partir les uns après les autres ces cars qui l’eussent ramenée, chez elle, vers la civilisation, la vie douce, l’amour peut-être.

Pourtant, dans le morceau de miroir brisé fixé au mur par trois pointes, elle se voyait changer. Elle pâlissait, ses joues se creusaient chaque jour davantage. Sa déception, son accablante peine s’inscrivaient sur son visage, son pauvre petit visage de princesse blonde sur qui une mauvaise fée faisait planer un étrange maléfice.

Il fallait tenir bon, coûte que coûte. Par moments, cependant, elle réalisait ce que Jacques était devenu ; elle se sentait alors sans force, sans goût. Pourtant, même à ces instants-là, elle ne regrettait rien, ni la France, ni la maison qu’ils avaient meublée avec goût.

Plus rien n’avait d’importance.

Un soir qu’elle se trouvait devant les murs de Pise que le soleil couchant rosissait, Delange vint vers elle, descendant de sa voiture. Il paraissait intimidé.

— Comme vous êtes changée ! murmura-t-il.

— Vous trouvez ?

Elle avait posé la question machinalement, car elle