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LA FILLE AUX SORTILÈGES

fièvre, au visage jaunâtre, à la barbe mal rasée, une chemise crasseuse ouverte sur le torse moite.

— Me voici, Jacques, dit-elle simplement.

Sur la table, deux verres traînaient, à demi-vides. Il ne chercha pas à s’excuser, se contentant de dire d’une voix éraillée :

— Tu aurais pu m’avertir… Suppose que je sois en compagnie, cela aurait été gênant…

Delange eut un geste, mais Jacques l’interrompit avec un sourire veule :

— Merci de la livraison, mon vieux… Tu peux partir et nous laisser à nos effusions.

Le directeur de l’hôtel jeta un regard compréhensif vers Monique. Elle trouva dans son orgueil la force de lui sourire, bien qu’elle eut mesuré l’étendue de son désastre.

Jacques, qui s’était si souvent élevé contre les « décivilisés », ceux qui oublient leur race, leur origine, leur culture… Jacques était devenu un de ceux-là. Et la femme aperçue l’instant auparavant en était sans doute la cause.

Mais qu’importait… Il était là !

Un grand élan la porta contre lui lorsqu’ils furent seuls, la porte s’étant refermée sur Delange. Aucune pression ne répondit à la sienne, aucun bras n’entoura son corps. Elle se détacha de son mari et le regarda bien en face avec l’espoir insensé qu’il comprendrait toute l’indulgence, tout l’amour, toute la passion qu’elle lui portait.

Il paraissait gêné, osant à peine la regarder. Plus pour se donner une contenance que par besoin, il se versa à boire et lui fit face. Pour masquer son embarras, il adopta une gouaille qui ne lui était point naturelle.

— J’imagine que tu es contente de ce que tu as fait ?

— Je ne pouvais plus rester ainsi sans rien savoir de toi, se plaignit-elle doucement.

Il haussa les épaules avec un rictus :