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LA LOI DU SUD

Voici la porte ouverte de la taverne. Des hommes sont là, qui ont oublié toute contrainte. Hommes durcis par les vents et par les luttes, matelots qui ont fait le tour de leur vie. Quelles tendresses, quels sourires apaiseront les blessures de leur épiderme et de leur cœur ?

Les filles n’ont que leurs visages las, leurs lèvres peintes… S’ils peuvent s’en satisfaire, lui ne les regarde pas. Il y a l’alcool qui rend à la fois plus lointaine et plus proche celle qu’il aimait…

Il boit. Et il rêve.

… Elle est là, près de lui. Cheveux blonds, lèvres charnues… Son corps est si mince qu’il semble se ployer au moindre geste…

L’apparition délicieuse, délectable, fait courir son sang plus vite et briller son regard.

Il boit encore.

Face à face avec son rêve, il ignore ce qui se passe autour de lui.

Mais soudain le vacarme alentour devient si violent qu’il sort de ses songes.

Un rire de brute éclate. Une voix mâle questionne :

— Ohé, la nouvelle, ne te défends pas ainsi… Un baiser ce n’est pas grand’chose…

L’homme écarquille les yeux.

Une toute jeune fille, rose, les yeux pleins de frayeur, se défend de l’étreinte d’un homme ivre.

Le client tente vainement d’enlacer la servante. Il est pourtant le plus fort… Alors elle laisse tomber ses beaux bras et des larmes emplissent ses yeux clairs.

L’homme s’est levé.

Elle est jolie… Si jolie… Semblable à l’autre, celle de ses vingt ans. Cheveux cendrés, lèvres à l’arc sanglant, corps tendre.

Elle a gémi.

Le chien, sous la table, retrousse ses babines sur ses crocs. Il gronde. L’homme s’approche.