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QUAND LA DUNE PARLA

Pendant qu’il parlait, je retenais un tremblement qui m’avait prise. Mais il me fallait tenir mon rôle de femme arabe qui ne comprenait pas. Et j’essayais, malgré ses paroles qui me faisaient horreur, de fixer sur lui le même regard vague.

— Ils furent deux morts, continua-t-il. Et la justice n’a jamais pu établir qui avait tiré le premier.

« C’est moi, c’est moi qui les avais tués, tu entends…

« Mais, depuis, sans que personne ne sache rien, je pleure. Et je suis venu au désert pour pouvoir mieux pleurer, pleurer sans larmes… Jamais encore, je n’ai trouvé de larmes… »

Je ne pouvais le consoler avec des mots.

Pourtant, dans ses yeux levés vers moi, je lisais une imploration.

je me sentais émue, cet homme, soudain abandonné, semblait m’appartenir, avec cette nuit si douce… Je l’attirai près de moi, sa tête sur mes genoux, et caressai ses cheveux…

Il poussa un grand soupir où toute sa peine semblait s’exhaler… Je le sentais trembler et, tout à coup, des larmes chaudes mouillèrent le serrouel, pénétrèrent jusqu’à ma chair…

Lorsqu’il se releva, longtemps après, il voulut parler.

Je lui imposai silence d’un doigt sur les lèvres. La nuit était ma complice et me permit de fuir.

Je n’avais pas prononcé un mot.

Il n’avait pas vu mon visage.

J’arrivai en retard au bordj militaire où je devais dîner, chez le chef de poste.

J’avais mis une robe du soir, des bijoux, coiffé mes cheveux d’un diadème, maquillé mon visage. Il ne restait plus rien de la petite sauvageonne des sables.

On plaisanta mon arrivée tardive.