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QUAND LA DUNE PARLA

Puis il baissa son visage vers moi, me regarda longuement et dit :

— Que fais-tu là, petite fille ? Est-ce que, toi aussi, tu rêves au passé ?

Je fus si surprise de ses paroles que je ne répondis pas.

Il continua :

— C’est vrai… Tu ne peux pas comprendre la langue où je mets mes songes. Tant mieux.

Et il s’assit à mon côté.

À vrai dire, sa méprise n’avait rien d’étonnant.

J’étais revêtue d’un serrouel brodé, ce large pantalon que mettent femmes et hommes, et j’avais une gandourah de laine blanche. Comme un vent léger soulevait, à la surface des dunes, une mince fumée de sable, j’avais recouvert mon visage d’un chèche, ce long voile de gaze blanche qu’on porte au Sahara.

Il ne voyait que mes yeux, qui sont vastes et sombres, et il pouvait fort bien me prendre pour une indigène.

Je restai immobile. Le rôle de confidente muette ne me déplaisait point. J’y trouvais un arrière-goût de péché et d’aventure qui me ravissait.

— Petite fille, continua-t-il dans cette langue que, pour lui, je n’entendais pas, petite fille, as-tu déjà souffert ?… Non ! il n’y a rien dans vos petites cervelles et dans vos grands yeux. Est-ce que même l’amour compte plus pour vous que l’eau qu’on cherche au puits le soir ?

« Si tu savais pourtant, comme il est merveilleux de sentir qu’un autre être possède tout de vous. Et même la torture de l’amour est si rare, si précieuse, qu’il faut la garder en soi, la faire vivre, ne jamais l’oublier.

« Je n’oublierai jamais.

« Car j’ai aimé. Elle était belle, et c’était une garce. Si elle revenait, je l’aimerais encore. Et peut-être parce qu’elle serait toujours une garce. Mais elle ne reviendra pas…

« J’étais un tout jeune officier dans une garnison sans péril. J’aimais mon métier. Et j’étais ce guerrier qui