— Viens me voir ce soir à huit heures.
Il fut exact, et ne fit aucune difficulté pour avouer qu’il ne savait pas lire et pas plus écrire.
— Mais d’où viennent ces lettres ?
Il ne répondit pas.
— Tu les a volées, n’est-ce pas ?
Le même silence accueillit mes paroles.
— Je sais ce qu’il me reste à faire. Je préviendrai le lieutenant, dis-je, à tout hasard.
— Non, non, pria-t-il d’une voix suppliante, ne lui dis rien.
J’étais tombée juste. Il était le boy d’un lieutenant.
— Comment est-il ton lieutenant ? demandai-je.
— Beau et très grand, et tout jeune, avec des yeux tristes comme le soir.
— C’est lui qui écrit les lettres, n’est-ce pas ?
Il baissa la tête.
— Et il les met dans une enveloppe et te les envoie porter à la poste, et toi, tu les gardes…
Ma voix devenait menaçante.
— Tu ne te rends pas compte de ce que tu fais ; c’est très grave…
Il m’interrompit :
— Oui, il écrit ces lettres, il les met dans une enveloppe, mais sans adresse. Il y en a un tas sur son bureau et il en écrit toujours. Alors qu’est-ce que ça fait si j’en prends quelques-unes !
Déjà je ne l’écoutais plus.
Mon cœur avait rejoint cet homme, isolé, loin du monde, qui écrivait pour une inconnue, et, au fond de moi-même, quelque chose, follement, me persuadait que les lettres avaient atteint leur destinatrice et qu’il avait écrit pour moi…