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L’APPEL DE L’AMOUR

Et voici que je déchiffrai sur l’une d’elles ouverte au hasard :

« Pendant un long instant, je n’ai plus été sous tes lèvres que sensation, je n’ai plus été qu’évanouissement à tout et à moi-même. Peut-être est-ce ma conscience qui avait quitté sa coquille, ses lois, et qui se répandait dans toutes mes fibres.

« Tu l’avais happée, doucement déclose, et elle coulait avec ton souffle et la fièvre lente de ton baiser par tout mon sang et tout mon souffle.

« Je ne sais si la jouissance que j’éprouvais dans ma conscience était plus vive que la volupté elle-même ou si ma conscience était devenue un lieu de jouissance plus sensible que tous les autres points de mon corps…

« Voilà, puisqu’il te plaît, petite reine, qu’on te dise la caresse que tu as donnée et qu’on te décrive ce qu’on éprouve, même si l’on est encore éparpillé et tout baigné de cette caresse, comme lorsqu’on nage sous l’eau et qu’on tient les yeux, la bouche et le souffle fermés.

« Je ne sais quels sont tes sortilèges, mais mon âme vient de te voir si parfaite devant le désir, qu’il me semble, depuis ce moment, tenir mon désir contre moi, comme un enfant qu’on berce et qui vous a souri. »

Toutes les lettres étaient de la même plume. L’amant inconnu y parlait d’amour et de volupté avec une telle ferveur que j’en vins à envier follement la femme qui avait suscité une telle extase.

Mais cette femme, je la connaissais, c’était Fatouma, une prostituée aux seins énormes, une fille métisse qui ne pouvait même pas lire ces mots ardents. Et certainement pas les comprendre, elle, dont les amours étaient tarifées réglementairement trois francs.

Le soir même, j’allais la voir.

Elle était dans sa case. Une case très simple, couverte d’un tapis indigène.