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pour céder lâchement un bien acquis par tant de larmes ? et cet homme si fier, qu’est-il de plus que moi pour oser m’en demander le sacrifice ?

— Il est proscrit, mon fils.

— Oh ! ciel ! je suis perdu… s’écria Gustave.

— Et sa tête tomba sur le sein de sa mère.

— Non, dit-elle en l’arrosant de ses larmes, il n’est pas perdu pour le bonheur, celui qu’un seul mot de pitié peut ramener des fureurs d’une passion délirante aux sentiments les plus généreux. Mais je l’avais pressenti ce noble mouvement de ton âme : je savais d’avance que mon fils préférerait son malheur à la honte de livrer à des périls certains l’infortuné qu’une injuste proscription réduit à venir lui demander asile ; et pour te prouver à quel point mon cœur devinait le tien, c’est à toi seul que j’ai voulu confier le sort de M. de Civray.

— Ah ! c’en est trop, interrompit Gustave, et]e me sens également incapable de le perdre ou de le sauver.

— Cependant tu n’as plus que le choix de ces deux partis.

Alors la marquise lui raconta comment le chevalier s’étant adressé à moi, pour l’introduire secrètement dans le château, je l’avais conduit dans son appartement.

— Voyez, ajouta-t-elle, s’il est possible de l’en faire sortir maintenant sans l’exposer à être reconnu et dénoncé ?

— Eh bien, qu’il y reste, répondit Gustave, mais n’exigez pas que j’habite avec lui, cet effort serait au-dessus de mon courage ; et si l’honneur m’oblige à lui sacrifier plus que ma vie, cet honneur barbare ne me condamne pas à supporter sa présence…

— Puisque l’emportement, la franchise de ton caractère ne te permettent pas la dissimulation indispensable dans cette circonstance, je ne vois qu’un moyen de t’en affranchir sans compromettre les intérêts de personne.

— Dites-le, ma mère, et je m’y déciderai sans hésiter. Après ce que vous venez d’obtenir de moi, vous pouvez tout demander ; je ne m’appartiens plus : le ciel sait que je ne survivrais pas à ce coup fatal sans l’idée que ma vie peut être utile à celle de ma mère. Ainsi disposez d’une existence qui