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XIII


Cette confidence tant désirée ne m’en apprit guère plus que je n’en savais, à l’exception des détails que j’ai rapportés à leur place ; je n’y joindrai pas le récit d’une de ces scènes commencées par le désespoir et terminées par l’ivresse, que chacun peut se peindre ou bien se rappeler. Avec ce que j’ai dit du cœur de madame de Civray, on ne s’attendait pas qu’elle dût avoir la cruauté de laisser cet aimable Gustave en pleine forêt, au milieu de la nuit, succombant à sa douleur mortelle : ne fût-ce que par pitié, elle devait le secourir ; et, cet acte de bonté une fois prévu, on ne s’attendait pas moins à l’abus qu’en devait faire un amant passionné. Ainsi je ne m’étendrai pas plus sur un événement fatal pour les uns, heureux pour les autres, et que chacun appelle du nom qui lui convient.

La vertu de madame de Civray s’en fit de cruels reproches ; mais elle sentit l’injustice qu’il y aurait à punir son amant d’une faute dont le blâme ne devait retomber que sur elle ; et, ne tenant plus désormais à la vie que par le bonheur de celui qui la livrait à d’éternels regrets, elle se jura de ne le troubler par aucune plainte. C’est ce noble sentiment qui lui avait dicté, au sein même des plus cruels tourments d’une conscience agitée, le billet suivant :

« Puisque j’ai renoncé à tout pour votre bonheur, oubliez les larmes qu’il me coûte, et conservez-moi dans votre amour le seul bien qui me reste au monde. »

— Ah ! s’écriait Gustave, en relisant ces mots, rassure-toi, céleste amie ! Ma vie entière acquittera ton sacrifice. En te livrant, c’est moi que tu viens d’enchaîner pour toujours. Ah ! je le sens, mon amour est encore plus nécessaire à ma vie qu’à la tienne !

Le plaisir de s’entendre répéter ces douces assurances, sans triompher complétement des pénibles réflexions de madame de Civray, parvenait souvent à l’en distraire. D’ailleurs la défaite a cela de bon qu’elle dispense du moins des fatigues du combat ; et, comme il est dans la nature de s’étourdir sur les