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— Bah ! dit M. de Saumery, il ne faut souvent qu’une bonne nuit pour opérer de semblables métamorphoses.

Cette réflexion fit rougir Gustave comme un coupable, et il s’empressa de raconter l’histoire chevaleresque de ce pauvre Antonin, pour faire diversion, et prouver à sa mère qu’il avait ri comme un autre de la première expédition lointaine de ce brave cavalier.

— À propos de ce cher Antonin, interrompit Alméric, je suis sûr que tu n’as pas eu l’attention d’envoyer savoir de ses nouvelles.

— Non vraiment, reprit Gustave ; j’aurais cru lui faire injure. As-tu jamais lu dans Le Tasse ou dans l’Arioste qu’on envoyât ainsi chez les héros après leurs périlleuses aventures ?

— Il ne s’agit point ici de héros, mais d’un écuyer malheureux poursuivi par quelque malin enchanteur qui s’oppose à ses moindres succès, si j’en juge par l’état pitoyable où je l’ai vu ce matin. Figurez-vous, madame, un infortuné couché de profil tout de son long, appuyé sur un coude, et avec défense de se mettre sur le dos, sous peine de jeter les hauts cris, et tout cela pour avoir fait dix lieues à cheval. Vraiment cela fait pitié ; et quand j’ai vu venir la vieille gouvernante destinée à panser ses plaies, je me suis enfui à B*** pour m’épargner un si triste spectacle. J’espérais attendrir madame de Civray par le récit des désastres de ce brave chevalier, mais je n’ai pu la voir ; elle est, m’a-t-on dit, fort souffrante, et ma cousine elle-même paraît fort inquiète de son état.

— Victor, dit aussitôt Gustave en se retournant brusquement vers moi, pourquoi ne m’avez-vous pas dit comment se portait madame de Civray ?

— Monsieur ne me l’a pas demandé, répondis-je avec un peu d’affectation.

— Ah ! vous avez raison, je ne sais à quoi je pensais. Mais que vous a-t-on répondu lorsque vous avez demandé si elle se ressentait encore de son indisposition d’hier ?

— Elle-même m’a chargé de dire à monsieur et à madame qu’elle était en bonne santé.

— Tu le vois, on t’aura fait un conte, dit Gustave à son ami,