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humble prose au noble galimatias de ces vers non rimés qui servent indifféremment à plaider pour et contre la même cause, et qui ornent aussi bien le récit d’une galante historiette que les déclamations d’un écrit sur la politique. Tant de ridicule n’appartient qu’au sublime ; et ma médiocrité se rend justice en m’imposant la loi d’être aussi simple que je voudrais être amusant.

        On connaît du pathos les disgrâces tragiques :
        Et souvent on ennuie en termes magnifiques.

En voyant madame d’Herbelin au chevet du lit de madame de Civray, j’hésitai d’abord à parler du sujet de mon message ; mais Lydie ayant avancé la main comme pour recevoir un billet attendu, je le lui donnai : elle le serra, sans l’ouvrir, dans un portefeuille qui lui servit de pupitre pour tracer à la hâte quelques lignes, tandis que madame d’Herbelin, tout occupée de lire une grande lettre, s’écriait :

— Pauvre garçon ! que je le plains ! Courir ainsi, de ville en ville, implorer des secours étrangers, et se voir si souvent réduit aux privations les plus cruelles, tandis qu’il pourrait être si parfaitement heureux dans sa famille et près de son aimable femme ! Vraiment j’admire sa persévérance ; à sa place je risquerais tout pour venir ici, et peut-être bien le verrons-nous arriver au premier moment.

Ces derniers mots couvrirent d’une pâleur mortelle le visage de madame de Civray. Elle essaya d’interrompre une conversation qui la tuait.

— J’ai voulu vous voir, me dit-elle d’une voix étouffée, pour vous prier, Victor, de ne point parler de mon indisposition au château de Révanne : on pourrait s’en alarmer, et je serais désolée d’inquiéter ma tante pour si peu de chose.

— N’oubliez pas, ma chère, interrompit à son tour madame d’Herbelin, de lui faire dire que nous avons reçu de bonnes nouvelles de votre mari.

— Je n’y manquerai pas, madame, m’empressai-je de répondre, pour en épargner la peine à madame de Civray ; dont l’accablement faisait pitié.