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grin de mon maître. Il c’est pas rare de voir le rire se faire jour à travers les sentiments les plus pénibles, et je me rappelle à ce sujet le récit qu’un brave homme nous fit un jour de la mort de son père. Les circonstances, racontées avec simplicité, en étaient fort touchantes ; et l’on s’attendrissait sur les regrets de ce bon fils, lorsqu’il dit en pleurant :

— Enfin j’arrivai assez tôt pour fermer l’œil de mon père.

— L’œil ! s’écria-t-on, et pourquoi pas les yeux ?

— Hélas ! il était borgne, reprit l’héritier.

Et l’on se mit à rire comme on allait pleurer.

Mais ces éclairs de gaieté ne changent rien au fond l’âme ; et Lydie ne s’en trouva pas moins malheureuse, lorsqu’au moment de quitter Gustave, elle se vit dans l’impossibilité de lui dire un mot qui pût le détourner de sa résolution. Une seule fois elle espéra qu’il allait s’approcher d’elle : en traversant le parterre, il s’était arrêté près d’un oranger semé par madame de Sévigné le jour de la naissance de sa fille. Elle se plaisait à le cultiver elle-même, et les gens du pays le montrent comme la seule relique qui vienne de cette femme célèbre. L’arbre portait de jeunes fruits ; Gustave demanda la permission d’en prendre quelques-uns. Lydie ne douta point que ce ne fût pour elle ; mais elle s’abusait, et les larmes lui vinrent aux yeux, lorsqu’elle entendit Gustave qui disait :

— Ce sera un souvenir de plus pour ma mère.



XII


Comme le désirait mon maître, nous fûmes de retour avant la nuit. Il laissa descendre M. de Saumery le premier, pour lui donner le temps de prévenir la marquise de la rencontre qu’ils avaient faite aux Rochers. Cette nouvelle empêcha madame de Révanne de s’étonner du trouble qui paraissait encore dans les yeux de son fils. Elle le remercia de s’être arraché au plaisir d’une si agréable compagnie pour venir retrouver la sienne, et l’engagea à se retirer de bonne heure, pour se reposer d’une journée qui paraissait l’avoir beaucoup fatigué. Mais cette journée n’était pas finie pour Gustave. En