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personne. À ces deux avantages, il avait voulu joindre celui de savoir monter à cheval ; et pour son début, il s’était décidé à suivre en cet équipage la voiture qui avait amené ces dames. Mais son noble coursier, irrité par les mouvements d’une main inhabile, s’était emporté à toutes jambes dans une des routes de la forêt, sans que son cavalier, cramponné au pommeau de la selle, pensât à autre chose qu’à s’y maintenir tant qu’il lui plairait de galoper. Il fit plus d’une lieue ainsi emporté, puis, s’arrêtant tout court près des poteaux d’un moulin, son cheval voulut bien lui permettre de reprendre haleine, et de boire un verre d’eau pour remettre ses sens, trop émus du danger qu’il venait de courir. Après avoir bien examiné si le froissement des arbres ne lui avait brisé aucun membre, et s’être convaincu qu’il n’avait à regretter dans cet événement que la moitié d’un verre de ses besicles, il remonta courageusement sur sa bête, à la condition qu’un des fils du meunier le conduirait par la bride jusqu’aux Rochers, où il croyait sa famille dans une grande inquiétude. C’était la calomnier, car personne n’avait remarqué son absence. Madame de Belrive avait seulement dit : « La fatigue de trotter à cheval aura forcé Antonin à retourner sur ses pas. » Et lorsqu’on le vit arriver au milieu du dîner, conduit par ce petit meunier, qui n’avait jamais consenti à le laisser descendre avant de l’avoir réuni à cette famille sensible dont il espérait bien quelque récompense particulière, chacun fut si gaiement frappé de leur tournure burlesque, que maîtres, valets, tous éclatèrent de rire. Antonin n’avait pas prévu un semblable accueil : il l’attribua au désordre de sa toilette et à ce verre rompu, qui, le faisant loucher, donnait à sa figure un air assez étrange. Il se disposait à ôter ses lunettes ; mais madame de Belrive, qui répétait sans cesse devant ses nouveaux domestiques, que, sans le secours de ses besicles, son fils ne voyait pas même à se conduire, lui fit signe de les garder. Il obéit, et seconda d’autant mieux l’intention de sa mère, que ses yeux postiches changeant tous les objets à ses yeux naturels, il avait la mine et les gestes d’un véritable aveugle. Enfin je ne puis mieux rendre le comique de cette scène, qu’en disant qu’elle triompha un instant du sérieux de Lydie et du cha-