Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voyant ces arbres abattus, ce pavillon dévasté, cette chambre à coucher, et ce cabinet de lecture, perdus dans des cloisons nouvelles, il s’écriait, sans penser au concierge qui l’accompagnait :

— C’est donc un pacha, un vandale, qui s’est emparé de ce château pour le traiter ainsi ?

— Non, monsieur, lui répondit le concierge sans y entendre finesse, c’est un négociant du pays.

— A-t-il aussi détruit l’écho de la place Coulanges ?

— Ah ! monsieur, cela ne se vend pas.

— Voyons un peu.

En disant ces mots, M. de Saumery entraîna Gustave qui regardait à une fenêtre s’il n’arrivait pas de voiture dans la cour, et tous deux se rendirent à cette place Coulanges, à côté de laquelle se trouve un bosquet de lilas. Gustave ne tarda pas à faire l’épreuve de l’écho, par le nom de Lydie. Il ne se lassait pas de le répéter, lorsqu’une femme sort tout à coup du bosquet, en s’écriant :

— Oh ciel ! qu’entends-je ? qui m’appelle ?

À l’émotion dont elle parait saisie, on croit qu’elle se trouve mal, on s’empresse autour d’elle ; Alméric s’avance, la soutient, et gronde son ami de la surprise qu’il vient de faire à madame de Civray. Gustave, trompé sur l’effet que produit sa présence, l’attribue à l’embarras de voir un tête-à-tête mal à propos interrompu. En moins d’une seconde, mille circonstances se représentent à son esprit pour achever de le convaincre qu’il doit être jaloux ; et le voilà qui déraisonne en conséquence. Mais comme on n’est pas dans le monde pour y parler avec franchise de ses sentiments, il s’efforce de cacher sa rage sous le masque d’une ironie piquante, avec le même courage qui fait sourire Lydie des plaisanteries qui déchirent son cœur.

En ce moment madame de Belrive et sa fille les rejoignent, en s’excusant d’être restées si longtemps à parler d’affaires avec le régisseur des Rochers, qui l’était aussi d’une terre voisine appartenant à madame de Belrive.

— Depuis cette belle Révolution, ajouta-t-elle avec humeur, c’est à nous à courir après tous ces gens-là ; autrefois ils se donnaient la peine de nous apporter eux-mêmes l’ar-