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ses soins pour son aimable nièce. Alors je tirai la lettre, que je dis m’avoir été donnée par la marquise pour madame de Civray. Madame Le Noir s’empressa de la porter à sa maîtresse, qui me sut probablement bon gré de mon petit mensonge, car sa femme de chambre me remit, l’instant d’après, une lettre où l’on voyait simplement sur l’adresse, au château de Révanne. J’augurai mal de la promptitude de cette réponse ; et, prévoyant la peine qu’elle causerait à mon maître, j’essayai, par mille questions, d’amener madame Le Noir à me raconter les occupations de sa maîtresse ; car je ne doutais pas que ce récit ne fût très-consolant pour Gustave. En effet tout ce qu’elle me dit de la tristesse de madame de Civray, qu’elle attribuait aux regrets d’un veuvage trop prolongé, me prouva combien M. de Norvel en avait imposé sur ce fait.

— Elle a tant de goût pour la solitude, qu’on ne peut l’en arracher, dit madame Le Noir ; cependant madame d’Herbelin vient de la décider à se rendre aux instances de madame de Belrive, qui l’a priée de l’accompagner demain, dans une partie de campagne qu’elle fait avec toute sa famille ; c’est à cinq lieues d’ici ; on partira de bonne heure ; c’est pour cela que vous me voyez pressée d’achever cette robe ?

— Il y a donc quelques fêtes de ce côté ? demandai-je.

— Ah ! bien oui, des fêtes. Est-ce que madame irait ? Elle qui ne veut pas seulement venir sous les tilleuls, quand on y danse ! Bien au contraire, c’est un vieux château qu’ils vont voir ; je ne sais plus trop comment on l’appelle, mais j’ai entendu dire à madame qu’il avait été autrefois habité par une femme célèbre, et la meilleure des mères.

— C’est aux Rochers, n’est-ce pas ?

— Oui, c’est bien ce nom-là.

Je n’en demandai pas plus, et me hâtai de venir donner ces détails à mon maître. Il en eut besoin pour modérer la fureur où le mit le renvoi de cette lettre, que Lydie n’avait pas même décachetée. On devine bien que le désir de visiter l’ancien château de madame de Sévigné vint tout à coup dans l’esprit de Gustave. Sa mère, enchantée de tout ce qui pouvait le distraire, l’engagea beaucoup à faire cette promenade, en regrettant qu’une légère indisposition l’empêchât d’en être,