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ser l’hiver à Paris, si, connue on le lui mandait, le séjour en devenait supportable. Ici la discussion s’engagea ; les uns prétendaient qu’il était impossible de s’amuser dans une ville encore teinte du sang de tant d’innocentes victimes ; les autres affirmaient au contraire qu’après de semblables crises, le besoin d’en effacer le souvenir faisait inventer de nouveaux plaisirs, et que, de tout temps en France, les fêtes succédaient aux calamités. L’expérience nous prouva que ces derniers pensaient juste.

L’espérance de revoir bientôt Paris me réjouit encore plus que mon maître, dont l’amour malheureux ne concevait aucune espèce de consolation. Mais j’en savais plus que lui sur ce chapitre ; et très-convaincu de le voir incessamment guéri de tous ses maux par celle qui les causait, ou par une autre, je m’occupai d’ajouter à mon existence, d’ailleurs fort douce, ce qui devait la rendre parfaitement agréable. L’image de cette petite nièce de madame Dubreuil revenait souvent à ma pensée. Je rêvais quelquefois des heures entières aux moyens de la soustraire au despotisme de sa tante en la rapprochant de moi ; mais tant d’obstacles s’opposaient à ce désir, que je commençais à y renoncer, lorsque madame de Révanne m’offrit une occasion de le satisfaire. Par suite de sa bonté ordinaire, elle avait exigé de Lydie qu’elle emmenât madame Le Noir, sa seconde femme de chambre, qu’un long service auprès de la marquise avait rendu un modèle en son genre. Je prévis qu’une fois attachée à madame de Civray, la marquise ne reprendrait plus madame Le Noir ; qu’il faudrait la remplacer : et me ressouvenant tout à coup de ma reconnaissance envers madame Dubreuil, je m’adressai à la marquise, et lui demandai, au nom de ce beau sentiment, sa protection pour mademoiselle Louise, qui se trouverait trop heureuse de remplacer madame Le Noir, si madame voulait le lui permettre.

— Vraiment, me dit-elle, si vous croyez que sa tante y consente, je ne demande pas mieux ; on m’a dit beaucoup de bien de cette jeune fille. Mais êtes-vous sûr que madame Dubreuil se décide à s’en séparer ?

Je n’hésitai pas à répondre que j’en étais certain, bien que