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ami, et se promit d’en récompenser sa mère, en lui laissant croire que la présence d’Alméric aurait, autant qu’elle le supposait, la puissance de le distraire.

Je vis enfin ce jeune homme que je pensais déjà connaître par les diverses préventions qui existaient pour et contre lui ; préventions également injustes ; car, s’il n’était pas digne d’une amitié aussi dévouée que celle de Gustave, il méritait encore moins la colère de madame de Révanne. C’était simplement un de ces étourdis brillants dont le grand monde offre tant de modèles. Gai, brave, spirituel, vain, tout occupé de ses succès, sans vouloir nuire à ceux des autres, le mérite de réussir, n’importe comment, était à ses yeux le premier de tous : on le voyait alternativement raisonnable ou insensé ; prudent ou audacieux ; indiscret ou dissimulé, selon que ces défauts ou ces qualités devaient servir à ses projets. Celui de s’attacher Gustave par une confiance réciproque était bien conçu, et lui promettait de grandes ressources pour le genre de vie qu’il voulait mener. Unique fils d’un petit gentilhomme de province qui avait dépensé le plus clair de sa fortune pour faire élever son enfant à Paris, il aimait le luxe, les arts, faisait d’assez jolis vers, avait, en un mot, les goûts d’un grand seigneur et les revenus d’un poëte, inconvénient qui n’oblige dans le monde qu’au soin de se choisir des amis riches et dissipés. Ce principe s’étant gravé de bonne heure dans l’esprit de M. Alméric de Norvel, il était entré au service sous les ordres d’un colonel dont la plus grande ambition était de faire valoir les officiers de son régiment, et l’unique plaisir de dépenser sa fortune à divertir ses camarades. Avec un semblable protecteur et l’amitié de Gustave qui devait l’associer à sa destinée, il s’inquiétait fort peu de l’avenir ; et prenant pour devise cette pensée : Pour être heureux, il ne faut que vouloir l’être, il jouissait d’avance de tous les biens que lui promettait sa volonté. Malheureusement son expérience n’était pas encore au niveau de ses grandes conceptions, et le désir de parvenir lui faisait souvent commettre des fautes difficiles à réparer. C’est par une inconséquence de ce genre qu’il s’était brouillé avec madame de Révanne. La trouvant encore belle, il s’était figuré que le plus sûr moyen d’acquérir sa bienveil-