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il accusait Lydie n’était pas plus réelle que la mienne, Gustave s’emporta si vivement qu’il me réduisit au silence.

— Me fuir, répétait-il sans cesse, aller s’établir à quatre lieues d’ici chez une vieille parente de son mari qu’elle connaît à peine ; et cela dans la noble intention de m’oublier ! Ce dernier trait m’accable, et je veux la remercier de l’avoir imaginé pour combler tous mes maux.

Alors il se mit à écrire, et je me retirai.

Il y a dans les sentiments vrais quelque chose de si touchant, qu’on ne peut y rester étranger ; et, bien que ma raison voulût traiter d’enfantillage le désespoir de mon maître, l’idée qu’il y serait livré toute la nuit m’empêcha de fermer l’œil ; j’allai plusieurs fois à sa porte, dans l’intention de lui offrir mes services si j’entendais du bruit ; mais tout était tranquille ; je voyais seulement de la lumière à travers la serrure, ce qui m’annonçait qu’il ne dormait pas. N’osant lui parler, dans la crainte de lui déplaire, et ne pouvant me décider à quitter sa porte, je m’assis à côté ; et la fatigue surmontant mon inquiétude, je m’endormis profondément.

Il était près de six heures du matin lorsque je fus réveillé par une voix de femme, qui disait :

— C’est Victor ; aurait-il passé la nuit là ?

— Mais à peu près, madame, répondis-je, en reconnaissant madame de Révanne.

— Mon fils a donc été bien malade ; pourquoi n’être pas venu m’avertir ? reprit-elle avec l’air inquiet.

En ce moment Gustave parut, habillé des mêmes vêtements qu’il portait la veille, et le visage dans une altération qui démontrait assez qu’il n’avait seulement pas essayé de prendre un instant de repos. À la surprise qu’il témoigna de voir sa mère levée de si grand matin, elle lui dit qu’ayant vu toute la nuit ses fenêtres éclairées, elle avait envoyé sa femme de chambre chez moi pour s’informer de ses nouvelles, et que ne me trouvant pas dans ma chambre, on avait présumé que je veillais près de mon maître. Cette idée lui causait beaucoup d’inquiétude, elle s’était levée pour venir le soigner. Gustave, désolé de la peine de sa mère, allait me gronder d’en être cause, lorsqu’elle lui fit sentir tout ce qu’il y aurait