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plus ou moins de temps qu’elle mettait à le considérer. Les premiers la captivèrent d’abord ; c’étaient ceux du château et des bois de Révanne. Elle y retrouvait ces sombres allées, ce beau lac, cette petite barque où, si souvent conduite par Gustave, elle avait entendu les plus doux aveux. À ces vues champêtres succédaient celles que mon maître avait rapportées d’Italie. C’étaient les plus curieuses ; mais madame de Civray les passa rapidement. Gustave s’en réjouit en pensant qu’elle arriverait plus tôt au dernier dessin qu’il avait tracé de souvenir. L’émotion qui se peignit tout à coup sur le visage de Lydie, les larmes qui l’inondèrent, lui prouvèrent assez qu’elle avait reconnu cette petite porte du parc de madame d’Herbelin, cette lumière complice qui servait à guider le coupable, ce fanal d’amour qui ne brillait que dans les nuits heureuses. À l’aspect de ces lieux, parés de tant de souvenirs, les traits de Lydie s’animèrent ; une rougeur pudique vint colorer son front ; et, détournant de cette image, ses regards humides et brûlants, elle les leva vers le ciel, comme pour l’implorer contre la puissance d’un souvenir qui dévorait sa vie. C’en est trop pour Gustave ; il retrouve dans ces regards divins tous les transports de son premier délire ; et, s’élançant vers la porte du pavillon, il appelle Lydie ! À ce nom, à ces accents connus, elle jette autour d’elle des yeux égarés, l’album s’échappe de ses mains, et elle s’enfuit du salon en poussant un cri d’effroi. Gustave veut la rassurer, voler près d’elle ; mais il entend les pas d’une personne qui vient a son secours. Il n’ose la rendre témoin du trouble qui l’agite, ni trahir la cause de l’effroi de Lydie. Disons plus ; il sent qu’il ne peut la revoir sans se trahir lui-même, sans violer tous ses engagements, et l’honneur le retient.

— Je penserai qu’elle m’aime encore, se disait-il en s’éloignant tristement du pavillon ; que trois ans d’oubli, d’infidélités, n’ont pu me chasser de ce cœur généreux !

Et, dans cette idée barbare et consolante, il trouvait la force de se résigner au malheur qu’il s’était imposé, et, le courage plus grand encore de laisser ignorer ses regrets à Lydie.