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faut remonter chez moi. Ce salon est celui qu’habite ordinairement madame de Civray… Je l’en prive, et c’est bien assez que ma présence l’éloigne de chez ma mère ; au moins faut-il que je ne l’obsède pas jusque chez elle… Moi, lui inspirer tant d’aversion ! ajouta-t-il en levant tristement les yeux.

— Cette bague, repris-je en montrant celle qu’il portait encore, ne me semble pas le signe d’une aversion bien vive.

— Si elle y tenait, l’aurais-je encore ? Non, je ne puis m’abuser ; elle n’est venue cette seule fois vers moi que pour rassurer ma mère, et lui rapporter de mes nouvelles. C’est, pressée par ma main que cet anneau a glissé de son doigt : elle le portait par habitude ; elle l’a perdu sans regret ; mais ai-je le droit de m’en plaindre ? Ah ! sa haine m’est bien due, je l’ai méritée ; j’en ai besoin peut-être, puisque tout nous sépare aujourd’hui.

En disant ces mots, il rassemblait ses papiers, ses livres, et il m’ordonnait de les monter chez lui. M’apercevant qu’il avait oublié son album sur la cheminée, j’allai pour le prendre.

— Laissez-le là, me dit Gustave ; je le porterai moi-même. Et quand il vint quelques moments après dans sa chambre, je vis qu’il n’apportait pas l’album.

Le soir de ce même jour où nous avions déménagé du pavillon, mon maître aperçut de la lumière à travers les croisées de la chambre que nous venions de quitter ; et soit que l’habitude d’y loger depuis quelque temps, ou je ne sais quelle autre pensée l’ait conduit de ce côté, il marcha vers la porte vitrée qui donnait sur le jardin : les volets n’en étaient point encore fermés ; et il aperçut à travers les carreaux Lydie, assise à la même place qu’il avait occupée le matin, et tenant l’album ouvert sur ses genoux. Il s’arrêta à contempler ce front si pur, ces yeux si doux, qui les premiers avaient fait battre son cœur. Madame de Civray était un peu maigrie ; sa taille lui en parut plus élégante encore, et sa pâleur même ajoutait à sa beauté ; car elle n’était si languissante que pour l’avoir pleuré, et la femme qui nous pleure a toujours tant de charmes !

Lydie tournait l’un après l’autre les feuillets de l’album, et Gustave devinait le dessin qu’elle avait sous les yeux au