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gnait un profond silence ; et malgré moi, épuisé par la fatigue, par tant d’émotions douloureuses, je m’endormis sur ma chaise près du feu que je voulais entretenir avec soin, car la nuit était froide. Je rêvais la convalescence de mon maître, celle de sa mère ; je les voyais réunis, se racontant leurs mutuelles inquiétudes, leur frayeur de mourir sans s’être dit adieu. Je m’associais à leur bonheur, il devenait ma récompense : tout à coup mon oreille est frappée par ces mots articulés d’une voix faible :

— Ma mère ? est-ce vous ?

J’ouvre aussitôt les yeux, et je crois rêver encore en apercevant une femme près du lit de Gustave ; mais il lui parle, elle se penche vers lui ; ce n’est point une vision.

— Donne-moi ta main, lui dit-il, mets-la sur mon cœur, je croirai que tu me pardonnes. Et pendant que cette main se laissait conduire, de l’autre on me faisait signe de me taire. Je restai immobile à contempler ce charmant fantôme ; bientôt après je le vis retirer doucement la main qu’il avait posé sur le sein de Gustave, s’assurer par un regard attentif que le malade était rendormi, et s’avancer à pas lents vers une porte qui donnait sur l’escalier intérieur du pavillon. Alors il s’évanouit comme une ombre et me laissa stupéfait de son apparition. J’espérais que mon maître me parlerait de cette vision, et j’attendais avec impatience son réveil, pour m’expliquer un événement sur lequel je formais différentes conjectures ; car l’obscurité où nous étions ne m’ayant pas permis de distinguer les traits de cette femme à demi voilée, je flottais entre deux noms que je craignais également de prononcer devant Gustave. Enfin il s’éveilla ; mais l’excès de sa faiblesse ne lui permettait pas de rassembler ses idées, et il ne me parla pas même de sa mère, seulement il m’appela pour me dire :

— Quelque chose me blesse, tiens, là, tout proche de ma plaie.

Présumant que c’était une des épingles qui retenaient l’appareil, je détachai la première bande, et je sentis une bague glisser dans ma main.

— Voilà ce qui vous blessait, dis-je à Gustave en lui mon-