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le lendemain de notre retour. On peut se figurer l’étonnement de madame de Révanne en voyant son fils l’aborder d’un air contraint, et recevoir sans émotion ses tendres embrassements. Sa première idée fut de le croire en disgrâce auprès de Bonaparte, puisqu’il ne l’avait point accompagné à Rastadt. Rassurée sur ce point, elle hasarda d’autres questions auxquelles Gustave répondit si brièvement, que, désespérant d’apprendre de lui la cause d’une froideur si marquée, elle s’abandonna à de tristes conjectures, et au chagrin d’avoir pour la première fois à se plaindre du cœur de son fils.

Malgré la distance qui nous séparait, je m’étais souvent associé aux peines de madame de Révanne, et quand je les avais prévues, j’en souffrais avant elle ; mais aucune ne m’inspira une plus profonde pitié que celle dont je la vis accablée ce jour-là. Il est vrai qu’en amitié, comme en amour, un accueil glacé m’a toujours paru le plus cruel des mécomptes de l’âme.



LXIII


Depuis ce retour, si différent du premier, tout était changé dans la maison de madame de Révanne. Gustave n’y paraissait plus qu’un instant dans la matinée ou le soir fort tard, et lorsque sa mère réunissait quelques personnes à dîner, elle en était réduite à l’inviter pour ce jour-là comme les autres convives. Chacun remarquait ce changement : on soupirait en voyant les yeux de madame de Révanne se remplir de larmes toutes les fois que Germain ôtait le couvert de mon maître après le premier service ; car, malgré qu’il ne vînt presque jamais dîner avec sa mère, elle s’obstinait tous les jours à l’attendre, et chacun de ses amis, en s’attristant pour elle, imitait son silence. M. de Léonville seul n’eut pas craint de le rompre ; mais il était absent, et madame de Révanne n’avait pas même la consolation de se plaindre de son fils à l’ami qui, tout en le condamnant, aurait pris sa défense.