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VII


Avant la fin d’une soirée passée dans la plus pénible contrainte, Gustave avait vu madame de Civray prétexter une violente migraine pour se retirer de bonne heure ; et il était monté presque aussitôt chez lui pour m’ordonner d’aller m’informer des nouvelles de sa cousine, dès qu’il serait jour chez elle. Je n’y manquai pas, et revins apprendre à mon maître qu’elle était sortie de bon matin pour aller voir à la ferme voisine sa petite filleule, qui venait de tomber malade.

— C’est ma filleule aussi, dit Gustave en prenant son chapeau, et je veux savoir ce qu’a cette pauvre enfant.

— À ces mots, il sortit. Quel que fût l’état de la malade, j’étais bien certain de le voir revenir avec l’air satisfait. Aussi ne pus-je m’empêcher de sourire quand je le vis rentrer au château donnant le bras à sa chère Lydie, qui ne paraissait pas à beaucoup près si triste que la veille. J’étais sur le perron, et j’entendis M. de Saumery leur dire :

— Mais d’où venez-vous donc ? vous avez probablement oublié l’heure ; on vous attend depuis un siècle pour déjeuner. Votre mère est inquiète, Gustave ; elle a craint qu’il ne fût arrivé quelque chose à madame.

Ces derniers mots, dits avec malice, colorèrent les joues de madame de Civray ; elle quitta brusquement le bras de son cousin pour entrer chez sa tante, et fut bien étonnée d’entendre M. de Saumery les excuser tous deux auprès de madame de Révanne, avec autant de chaleur qu’il avait mis de méchanceté à les embarrasser le moment précédent. Mais sa charité avait beau faire, le trouble de Lydie en détruisait l’effet. La marquise feignit de ne s’en pas apercevoir ; et Gustave, espérant fixer sur lui seul toute l’attention de sa mère, se mit à bavarder sans penser à un mot de ce qu’il disait, et sans remarquer que personne ne se donnait la peine de l’écouter. M. de Saumery interrompit enfin ce monologue, pour demander à Gustave par quel enchantement il était tombé si vite épris des charmes imposants de mademoiselle de Belrive.